Par Dan Oldfield, GCM
En tant que négociateur pour la Guilde canadienne des médias, voilà un moment que j’observe la farce des négociations entre la Ligue nationale de hockey (LNH) et l’Association des joueurs de la Ligue nationale de hockey (AJLNH) et que j’écris des articles à ce sujet. On peut dire sans exagération que les négociations entre les propriétaires et les joueurs sortent plutôt de l’ordinaire. N’empêche qu’il y a des leçons à tirer et des questions qui méritent réponse.
Certes, il s’agit bien d’athlètes professionnels dont certains gagnent autant d’argent en une saison que la plupart d’entre nous en gagnerons dans toute une vie – et encore… Mais les joueurs de la LNH ne sont pas une bande de millionnaires chialeux qui essaient de saborder la saison de hockey juste pour obtenir ce qu’ils veulent. Ce sont des gens qui prennent des risques, car ils font un métier dangereux, et qui s’attendent à ce que leur carrière soit de courte durée. Ils travaillent contre salaire pour pouvoir gagner leur vie et faire vivre leurs familles. Les prestations de maladie et de retraite et les polices d’assurance sont des choses qui comptent autant pour eux que pour le reste des travailleurs. Ce conflit concerne le partage des profits d’une industrie entre 30 propriétaires d’un côté et quelque 750 joueurs de l’autre – les chiffres parlent d’eux-mêmes.
Au cours des sept dernières années, tandis que le monde traversait la pire récession depuis la Grande dépression, les revenus de la LNH s’envolaient, passant de 2,2 à 3,3 milliards de dollars, soit une augmentation de 56 pour cent. C’est dans ce contexte que s’inscrit l’attaque en règle contre les salaires des joueurs et leur droit à la négociation collective.
Au cours des vingt dernières années, les atteintes portées aux salaires et aux droits des travailleurs se sont intensifiées. Les gigantesques multinationales affichent une impudence de plus en plus grande, soutenues en cela par les politiciens à leur solde. Les États qui ont une loi qualifiée de « droit au travail » continuent d’être la règle plutôt que l’exception et le nivellement par le bas s’accélère. Dans toute l’Amérique du Nord, on assiste à la promulgation de lois visant à rogner nos droits et à gonfler les bénéfices des entreprises. De plus en plus de gouvernements prennent unilatéralement la décision de refuser le droit à la cessation du travail – le seul levier de négociation dont disposent les travailleurs.
Nous sommes confrontés à des sociétés qui, dans une recherche incessante de main d’œuvre meilleur marché, mettent la clé sous le paillasson, parfois même après avoir été subventionnées par les contribuables. Et nos enfants, même ceux, nombreux, qui détiennent deux diplômes, ont d’énormes difficultés à trouver des emplois à plein temps correctement rémunérés.
Un déséquilibre criant entre travail et capital
La partie de Monopoly qui se joue à l’échelle mondiale est en train de s’intensifier. L’objectif est le même – déloger les concurrents et s’approprier tous les biens. À cette fin, les travailleurs sont exploités sans merci, sans égard à leur âge ou à leur vulnérabilité.
Un déséquilibre criant existe à présent entre l’investissement-argent et l’investissement- travail, et c’est le premier qui est privilégié. Les exemples de cette perversion des valeurs sont légion. Tout récemment, le Canadien Pacifique a annoncé l’élimination de 4 500 emplois – des emplois bien rémunérés à plein temps, avec avantages sociaux et pensions de retraite. Il y aura donc 4 500 familles qui se retrouveront dépourvues de moyens pour prendre une hypothèque, s’acheter une automobile ou se payer des études; cela fera 4 500 revenus de moins pour faire tourner les épiceries et magasins locaux et consolider les infrastructures collectives. Voilà une nouvelle dont on ne peut que s’alarmer.
Pourtant, que s’est-il produit aussitôt la nouvelle annoncée? La valeur boursière du Canadien Pacifique a grimpé de 5 pour cent. Et voilà : tandis qu’un petit nombre de gens s’enrichissent, les emplois se font plus rares pour la majorité d’entre nous.
Il est temps que ça change.
Quel est le principe qui devrait nous guider ? Voici ce que déclarait, il y a plus d’un siècle, mon président des États-Unis préféré, le républicain Abraham Lincoln : « Le travail est antérieur au capital et indépendant de celui-ci. Le capital n’est que le fruit du travail et n’aurait jamais pu exister si le travail n’avait pas existé avant lui. Le travail est supérieur au capital et mérite de loin la plus grande considération… »
Or, les travailleurs actuels sont maltraités, et nous acceptons les mauvais traitements, allant même jusqu’à penser que nous les méritons. Comment expliquer autrement le ressentiment à l’égard des syndicats qui, après tout, sont composés de travailleurs ? Pourquoi la société nous a-t-elle rendus rancuniers à l’égard de ceux qui ont des emplois bien payés, avec des avantages sociaux et des régimes de retraite? Pourquoi en sommes-nous venus à considérer de telles nécessités comme un luxe ?
C’est le travail qui fait marcher l’économie. Ce sont les emplois bien rémunérés qui fondent notre société, qui fournissent les ressources nécessaires à l’éducation et au maintien de la santé et de la prospérité. Et pourtant, on nous a divisés et montés les uns contre les autres. Les travailleurs se doivent de riposter. Nous avons besoin d’une stratégie qui unisse les travailleurs à faibles revenus, les personnes âgées, les étudiants et l’ensemble des travailleurs. Qu’on soit joueur de hockey professionnel ou garnisseur de tablettes dans un supermarché, on a une cause commune à défendre. Il faut redresser le navire avant qu’il ne soit trop tard.