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5 questions avec Gregory Taylor : des idées audacieuses pour nos ondes publiques

Gregory Taylor

Aujourd’hui, le gouvernement annoncera les noms des soumissionnaires pour la prochaine mise aux enchères d’une partie du spectre, en janvier 2014.

La GCM a appelé le gouvernement à mettre les ondes au service des Canadiens, notamment en réservant à l’usage public, communautaire et éducatif une partie du spectre de 700 MHz (la bande de fréquences qui fera l’objet des enchères). Une autre suggestion intéressante qui a été faite cet été par le Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier (qui est, depuis, devenu Unifor dans le cadre d’une fusion syndicale) est que le gouvernement établisse, dans l’intérêt des Canadiens, une société d’État comme quatrième fournisseur principal de services sans fil.

Ces idées méritent d’être envisagées sérieusement si l’on veut réellement stimuler la concurrence et donner aux Canadiens l’accès au spectre dont ils dépendent.

Nous avons interrogé à ce sujet Gregory Taylor, chercheur principal du projet CSPR (Canadian Spectrum Policy Research) (http://canadianspectrumpolicyresearch.org) de l’École Ted Rogers de gestion de la technologie de l’information de l’Université Ryerson.

1. GCM
Dans quelle mesure est-il important de réserver une partie du spectre à des opérateurs non commerciaux et quels défis cela pose-t-il ?

Gregory Taylor
On a toujours réservé des parties du spectre à des usages non commerciaux. À l’heure actuelle, certaines sont réservées à l’usage scientifique, industriel et médical ainsi qu’à des fins de sécurité publique et de défense nationale, pour n’en nommer que quelques-unes. Une bonne régulation du spectre exige d’avoir une vision à long terme et d’avoir à cœur l’intérêt du public. Le Conseil présidentiel sur la science et la technologie en a récemment donné un bon exemple dans son rapport de 2012 au président des États-Unis, intitulé Realizing the Full Potential of Government-Held Spectrum to Spur Economic Growth (Exploitation des possibilités du spectre réservé au gouvernement pour stimuler la croissance économique). Il y recommande que « 1 000 MHz du spectre fédéral soient consacrés à la mise en place d’une nouvelle architecture du spectre, afin de créer les premières autoroutes du spectre à accès partagé. L’élément essentiel de cette nouvelle architecture fédérale est que la norme d’utilisation du spectre serait le partage et non l’exclusivité ».

Voilà une idée audacieuse qui témoigne d’une prise en compte du long terme. Si ce rapport est pris au sérieux, il bouleversera une bonne partie du régime actuel de réglementation des États-Unis et il aura des répercussions à l’échelle mondiale. Il n’existe aucune proposition de ce type au Canada.

 2. GCM
Connaît-on des pays où une extension novatrice du spectre a été réalisée avec succès ?

Gregory Taylor
Un exemple de gouvernement qui n’a pas eu peur de prendre des risques en matière d’extension du spectre est celui des États-Unis. Dans les années 1980, la Federal Communication Commission a réservé une partie du spectre à un usage indéterminé, exempt de licence. Les modalités d’utilisation étaient subordonnées à la technologie : les appareils approuvés pour ce spectre devaient être à courte portée. Cet accès a par la suite été utilisé pour les ouvre-portes de garage, les interphones pour bébés et, surtout, pour la technologie Wi‑Fi.

Il convient de souligner que cette décision était visionnaire puisqu’elle a été prise bien avant l’apparition du Wi‑Fi. Il faut faire une place à l’expérimentation, ce qui signifie qu’il faut accepter de possibles difficultés. Il n’y a pas d’expérimentation possible avec la technologie sans fil sans accès au spectre.

Au plan international, de nombreuses voix réclament davantage de radiofréquences exemptes de licence, qui pourraient se prêter à des usages variés. Les domaines clés à développer sont les espaces blancs télévisuels (TVWS) et le spectre partagé, à l’aide de la nouvelle technologie de la radio cognitive. Les espaces blancs télévisuels sont des bandes de fréquence attribuées à la distribution télévisuelle qui, en de nombreux lieux, ne sont pas pleinement exploitées. Aux États-Unis, au Royaume-Uni et dans de nombreux autres pays, les espaces blancs télévisuels ont été finalisés, ou ils sont en passe de l’être. Et de tels espaces sont déjà utilisés dans certaines parties de l’Afrique subsaharienne pour fournir des connexions sans fil à large bande. Au Canada, il existe de vastes régions où les fréquences de télévision sont sous-exploitées. Pourtant, les politiques restent à la traîne, alors que le public a besoin d’accéder à ces précieuses bandes de fréquences.

Le Canada dispose déjà de systèmes à large bande en régions rurales et éloignées (SLBRRE), qui permettent de fournir des services mobiles aux régions difficiles d’accès grâce aux bandes de fréquences de canaux de télévision non affectés et non attribués. Les initiatives de ce type devraient être multipliées. Les régions rurales du Canada n’ont pas grand-chose à retirer de la mise aux enchères de la bande de 700 MHz. Pour un véritable développement des régions rurales, il se pourrait bien que la meilleure option soit les radiofréquences exemptes de licence.

3. GCM
Que faut-il savoir au sujet de la mise aux enchères du spectre ?

Gregory Taylor
Les licences qui seront mises aux enchères en janvier 2014 seront valables pour 20 ans, alors que lors de la mise aux enchères de 2008, elles étaient attribuées pour 10 ans. À l’ère du numérique, vingt ans, c’est une éternité. C’est la raison pour laquelle je suis d’avis que l’on surestime les recettes publiques que procurera cette mise aux enchères. Si on calcule l’amortissement sur 20 ans, on voit bien que c’est un investissement en or pour les télécoms.

En revanche, le spectre partagé qui est, comme son nom l’indique, un spectre de radiofréquences exempt de licence qui permet aux appareils sans fil capables de détecter les fréquences libres et de les utiliser pendant de courtes périodes. Il existe un potentiel énorme. J’ai parlé avec des PDG d’entreprises canadiennes du secteur de la haute technologie, qui m’ont dit qu’ils souhaitaient que le Canada devienne un chef de file en matière de spectre non soumis à licence. Il s’agit là d’un domaine prometteur pour le public ainsi que pour le développement économique. Et c’est ce que réclame le Conseil présidentiel à Washington.

4. GCM
Cet été, nos collègues du SCEP ont suggéré que, pour stimuler la concurrence et augmenter les services, le gouvernement établisse une société d’État comme quatrième fournisseur principal. Nous savons que la Saskatchewan s’est dotée d’un tel fournisseur. Quels sont les résultats de cette formule ?

Gregory Taylor
Le fait est que, malgré la levée de boucliers de nombreux médias quand l’idée a été lancée cet été, la société d’État SaskTel a été bénéfique à la Saskatchewan, notamment en faisant œuvre d’innovation dans de nombreux domaines. Elle a été la première firme au Canada à offrir la télévision par Internet, devançant Télé OPTIK, de Telus, et Télé Fibe, de Bell. En outre, SaskTel est tenue de fournir des services sans fil à tous les habitants de la Saskatchewan. Pour les zones rurales, la mise aux enchères de la bande de 700 MHz ne présente qu’un intérêt très limité. Livré à lui-même, le marché ne se préoccupe guère des zones rurales du Canada. Il ne s’en est jamais préoccupé. La plupart des zones rurales du Canada ne peuvent avoir accès à Internet que par satellite, et la vitesse de transmission est loin d’être celle offerte par les fournisseurs actuels de services sans fil. La plupart des arguments contre la création d’un fournisseur public de services sont principalement de nature idéologique.


5. GCM
Concrètement, que peuvent faire les citoyens, les entreprises et nos gouvernements pour faire avancer cet important débat ?

Gregory Taylor
Nous ne pouvons pas nous permettre d’abandonner la discussion au gouvernement et à l’industrie. Le public a besoin de connaître les enjeux et d’intervenir dans le débat. C’est ce que nous nous efforçons de faire, à Canadian Spectrum Policy Research. Après tout, il s’agit d’une ressource qui nous appartient à tous. Une trop grande partie de la politique canadienne en matière de spectre radioélectrique est élaborée loin de l’œil du public.

À l’appel du gouvernement, plus de 2 000 Canadiens ont soumis leurs commentaires sur la stratégie du Canada en matière d’économie numérique, il y a trois ans, et le gouvernement n’a toujours pas répondu. C’est inexcusable.

L’été 2013 a constitué un bon départ. La politique concernant le spectre a commencé à faire les manchettes. Cependant, j’ai trouvé que la perspective était trop restreinte : on ne parlait que de factures mensuelles, sans aborder le vaste potentiel de l’usage du spectre. Les débats n’étaient souvent que de simples discussions sur les moyens de faire baisser le montant de la facture et de se défendre contre les trois géants abhorrés des télécoms. Je comprends la frustration des consommateurs, mais il y a d’autres aspects à envisager. Notre facture mensuelle ne représente qu’une partie de l’équation. Nous sommes à un point tournant du développement du réseau sans fil.

Gregory Taylor est chercheur principal du projet CSPR (Canadian Spectrum Policy Research) à l’École Ted Rogers de gestion de la technologie de l’information de l’Université Ryerson. 

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