Par Lise Lareau
Présidente nationale
Guilde canadienne des médias
Il est temps d’engager les Canadiens de nouveau au sujet de la diffusion publique, au lieu de se concentrer simplement sur une décision problématique en matière de programmation à la télé anglaise. Il est certain que la direction que suit la télé anglaise de Radio-Canada devrait préoccuper les Canadiens. Le sujet est certainement digne d’un débat national.
Le réseau public est maintenant totalement obsédé par les cotes d’écoute et les objectifs de revenu. On en est même au point où le réseau évalue le rendement des journalistes qui créent les émissions d’information et d’affaires publiques en mesurant les cotes d’écoute. La télé de CBC s’est donc abaissée à utiliser ses employés et ses auditeurs pour gagner de l’argent. Et cela veut dire qu’elle ne traite pas son auditoire de façon respectueuse, en tant que citoyens qui veulent apprendre et s’engager dans les questions importantes de notre époque. Elle abandonne toute programmation innovatrice si celle-ci n’attire pas immédiatement un million auditeurs.
Au moins quatre émissions innovatrices et applaudies par les critiques ont été annulées au réseau anglais cette année.
Pour l’instant, la télé de CBC fonctionne selon un modèle d’affaires qui diffère un peu des réseaux privés au Canada. Une grande partie de sa subvention gouvernementale est accordée directement par le parlement. Et voilà l’essence de la télévision publique. De leur côté, les réseaux privés survivent assez bien grâce aux subventions accordées par le Fonds de télévision canadien et aux crédits d’impôts, ainsi qu’aux règlements qui leur permettent de diffuser des émissions américaines afin d’en retirer des bénéfices commerciaaux.
Cependant, dans le climat politique actuel, il ne faut pas faire preuve de beaucoup d’imagination pour conclure que plus la télé de CBC se commercialise, plus il est probable qu’elle sera privatisée – et rapidement. L’ancienne organisation du Premier Ministre Stephen Harper, la National Citizens Coalition, a demandé cette semaine pourquoi la télé de la CBC devrait recevoir une subvention d’État si elle se comporte comme les réseaux privés. Les dirigeants de la CBC/Radio-Canada n’ont pas encore répondu à cette question. Pour le bien des Canadiens, et surtout pour le bien des travailleurs du secteur culturel au Canada, j’espère qu’ils ont une très bonne réponse.
Si la télé de la CBC devient un réseau privé, ce sera la fin de la programmation canadienne de langue anglaise sur les ondes publiques pendant les heures de grande écoute. Les réseaux privés ont expliqué pourquoi de façon très simple. Il n’est pas rentable de diffuser des émissions anglaises canadiennes, même si celles-ci sont subventionnées, quand on peut acheter plus facilement et à meilleur marché le droit de diffuser un produit américain qui attirera plus d’auditeurs et quatre fois plus de revenu publicitaire.
Donc, au lieu d’une simple émission réalité qui devance le bulletin d’information The National, on pourrait bientôt remplir l’horaire de la télé de CBC par des histoires criminelles (style CSI) et des émissions réalité.
Il ne faut jamais oublier qu’il est possible d’avoir un vrai diffuseur public au Canada. Un comité du Sénat a approuvé l’idée. La plupart des Canadiens disent qu’ils le veulent. Beaucoup d’autres pays en ont un.
Mais le défaitisme ne nous aidera pas.
Le Bloc Québécois, le NPD et les Libéraux ont tous voté le mois dernier en faveur de « maintenir et améliorer » le financement parlementaire de la diffusion publique. Les Conservateurs ont voté contre la proposition et n’ont rien dit d’important au sujet de leurs intentions pour CBC/Radio-Canada. Les Canadiens ont le droit de savoir ce que leur gouvernement a en tête.
Entre-temps, les gens dans ce pays qui appuient l’idée de la diffusion publique, et qui peuvent imaginer des possibilités au-delà de la réalité actuelle, devraient faire connaître leur perspective partout et à chaque occasion qui se présente.