Cette semaine, le député fédéral d’arrière-banc Pierre Poilièvre a parlé ouvertement de permettre aux travailleurs syndiqués de choisir individuellement s’ils cotiseront au syndicat – une atteinte à un élément-clé de la loi du travail au Canada connu sous le nom de « la formule Rand ». Ce développement est troublant, qu’on soit syndiqué ou non. Il vise à réduire la capacité des travailleurs, et des syndicats qu’ils créent, de faire face à leurs employeurs pour demander des salaires et des conditions de travail raisonnables et équitables. À la lumière des lois exceptionnelles adoptées récemment pour interdire aux employés d’Air Canada et de la Société canadienne des postes de faire la grève, les travailleurs canadiens ne peuvent pas laisser passer cette menace sous silence.
Qu’est-ce que la formule Rand?
Il s’agit d’un jugement émis par le juge Ivan Rand de la Cour Suprême du Canada en 1946. Rand a développé un principe qui a été entériné depuis dans la loi canadienne du travail : une fois qu’un syndicat a été certifié pour représenter les employés dans un lieu de travail, le syndicat peut négocier une clause dans la convention collective qui stipule que les cotisations syndicales doivent être retenues à la source par l’employeur, et remises par la suite au syndicat. Tous les employés de l’unité de négociation sont assujettis à cette règle, peu importe leur statut d’adhésion au syndicat ou leur appui du syndicat.
Pourquoi faire payer obligatoirement tout le monde?
Dès son accréditation, un syndicat a la responsabilité sous la loi de représenter tous les membres de l’unité de négociation – même ceux qui décident de ne pas devenir membres ni participer aux activités syndicales. Étant donné que le syndicat doit représenter tout le monde, Rand a statué qu’il est approprié que tout le monde doit financer le syndicat : « J’estime donc qu’il est parfaitement équitable que tous les employés soient obligés d’épauler leur part du fardeau des dépenses pour appliquer la loi qui gère leur emploi, soit le contrat syndical; ils doivent assumer le fardeau en même temps que l’avantage ». C’est le même principe qui s’applique aux impôts : qu’on tombe malade ou non, qu’on ait des enfants ou une voiture ou non, on est tout de même obligé de payer des impôts pour financer les hôpîtaux, les écoles et les voies publiques.
Et mon droit de choisir? N’est-ce pas anti-démocratique?
La question a été examinée à plusieurs reprises, notamment dans un jugement unanime de la Cour Suprême du Canada en 1991 où les juges ont statué que la formule Rand ne nuit pas à la liberté d’association du particulier. Les syndicats sont des entités démocratiques et transparentes, et tout membre peut participer au processus décisionnel.
Quels sont les avantages et les inconvénients?
L’avantage principal pour le syndicat est que celui-ci peut financer ses opérations.
Du côté de l’employeur, l’avantage principal est le fait que, contre la sécurité et la stabilité de la formule des cotisations obligatoires, le syndicat accepte de ne pas faire la grève tant que la convention collective est en vigueur, et les employés ne sont pas obligés d’adhérer au syndicat comme condition d’emploi. C’est fort curieux que ceux qui s’opposent à la formule Rand ne mentionnent jamais cet élément, qui est tout aussi important que la formule des cotisations.
En l’absence de Rand, que se passe-t-il ?
On parle souvent du « droit au travail » (right to work). Dans un tel environnement, les droits des travailleurs de se syndiquer sont réduits, voire éliminés; là où le syndicat existe ou survit, il doit percevoir les cotisations en s’addressant directement aux membres, et ceux-ci peuvent bénéficier des dispositions de la convention collective – le cas échéant – sans avoir à cotiser. Certains conservateurs estiment que le droit de l’employeur de pouvoir renvoyer un employé à n’importe quel moment pour n’importe quel motif (voire sans aucun motif) est essentiel pour encourager l’entrepreneuriat, mais cette façon de procéder n’a aucune place dans un environnement basé sur la justice sociale.
Des politiciens conservateurs tels que le premier ministre de la Saskatchewan, Brad Wall, Tim Hudak de l’Ontario et le député fédéral Poilièvre ont tous lancé des « ballons d’essai » pour repenser la formule Rand, soi-disant pour créer plus de « flexibilité » dans la marché du travail. En d’autres mots, affaiblir les travailleurs et leurs syndicats profitera aux employeurs. Tous les travailleurs canadiens doivent s’exprimer contre cet attentat envers nos droits fondamentaux.