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Être la seule journaliste noire de la station

Par Noémie Moukanda
Pour SCA Canada

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Exercer le métier de journaliste dans un environnement où l’on est la seule personne noire comporte des défis que l’on sous-estime, mais qui pourtant peuvent influencer le parcours professionnel.

Je m’appelle Noémie Moukanda et je suis journaliste à Vancouver depuis plus de dix ans. Une profession à laquelle je n’ai pu accéder dans le pays dans lequel j’ai grandi, la Belgique, mais dont la réalisation au Canada a toutefois révélé plusieurs questionnements, surtout identitaires.

Un multiculturalisme particulier

Lorsque je suis arrivée à Vancouver, il était peu commun de tomber sur une personne noire dans les rues. Fait tellement rare que lorsque deux Noirs se croisaient, ils se sentaient obligés de se saluer et d’esquisser un sourire. Comme s’ils se rassuraient de ne pas être le seul.

Et quand j’ai commencé à exercer le métier qui m’a toujours fait rêver, j’ai été tellement enthousiaste que je n’ai pas immédiatement prêté attention au fait qu’aucun de mes collègues ne me ressemblait. En fait, je me suis juste dit que j’ai l’habitude d’être souvent la seule noire dans mon environnement.

Autant Vancouver est considérée comme étant l’une des villes les plus multiculturelles du pays, autant la population afrodescendante de l’époque n’était pas aussi importante qu’aujourd’hui. Pourtant, dans la salle des nouvelles, les gens de couleur y étaient assez représentés, cependant avec une peau et des origines différentes aux miennes.

Pendant des années, je n’ai pas manqué d’en discuter avec mes sœurs. Nous nous consolions de cette réalité en soulignant le fait qu’au moins, au Canada, j’ai la chance de travailler dans mon domaine. En effet, je suis licenciée en journalisme, diplôme obtenu dans la capitale belge, Bruxelles.

Après mes études universitaires, il m’a été quasi impossible de décrocher un boulot dans un journal ou une radio et encore moins à la télévision. Il faut dire que j’ai grandi en ne voyant quasiment jamais de journaliste noir.e sur les chaînes de télévision belge. Sauf un qui couvrait les sports les week-ends sur une chaîne privée. Ou alors une autre qui présentait une émission sur les thématiques africaines chez le diffuseur public, mais il fallait rester debout tard pour la voir.

Malgré ma gratitude, je me suis parfois sentie seule. Parce que cette réalité dépassait la station. Durant mes premières années, je n’ai croisé qu’un journaliste afrodescendant lors de conférences de presse. Un confrère anglophone qui écrivait pour la presse. Étrangement, nous n’avions pas échangé beaucoup de mots. Mais on se passait discrètement le bonjour en hochant la tête. Une habitude ancrée dans la petite communauté noire.

La représentante de toute communauté

Très vite, j’ai remarqué que cette réalité m’a conféré un statut singulier. Sans le vouloir ni l’avoir demandé, je suis devenue la voix de mes semblables. Lors de tournages ou dans des évènements communautaires, j’ai toujours été confrontée aux mêmes propos : “nous sommes fiers que tu nous représentes”. Ma soeur et mon beau-frère dont le réseau social était composé majoritairement d’Africains me rapportaient ce qui se disait dans la communauté. Tout le monde était fier. Plus j’entendais ces mots, plus je sentais la pression.

À chacun de mes reportages, je sais que j’étais écoutée ou regardée avec une attention particulière. Et que je n’avais pas le droit de décevoir mon public. J’ai choisi ce métier en suivant les pas de mon père, mais j’ignorais qu’un jour cela allait amener toute une communauté à me suivre.

Les sujets d’affectation

Au-delà du défi identitaire, le fait d’être la seule journaliste noire implique, tacitement, que tu couvres les sujets qui concernent cette frange de la société. Généralement, lorsque vient le mois de l’Histoire des Noirs, c’est vers toi qu’on se tourne pour parler de l’un ou l’autre évènement, pour te demander des contacts. J’avoue que je me suis parfois interrogée : “est-ce que mes collègues fréquentent, du moins connaissent, des personnes de couleur, en dehors de celles qu’ils ou elles interviewent au travail?”

Bien que j’aime que mes reportages reflètent la diversité canadienne, je souhaiterais que les uns et les autres embrassent cette volonté. Utopiquement certes, mais de manière naturelle. Parce que chacun aurait le souci de l’équilibre, de l’équité et de la représentativité des cultures.

Une diversité plus visible

Durant la crise sanitaire du coronavirus, la salle des nouvelles de Vancouver a accueilli plusieurs journalistes noires. Je voyais la plupart via les petits écrans des réunions en visioconférence. En octobre dernier, c’est presque un choc identitaire que j’ai vécu en me retrouvant dans un petit périmètre avec quatre autres femmes noires. Cette vision inédite m’a troublée au point de l’évoquer.

De plus, notre équipe compte un animateur et une assistante administrative métis. Celle-ci a des origines congolaises, comme moi. J’ai l’impression de rêver. Que s’est-il passé? Même du côté de CBC, il y a des employés afrodescendants. À l’accueil, je compte au moins trois personnes noires. Il faut dire qu’il est aussi plus commun de tomber nez à nez sur un.e noir.e dans les rues de Vancouver et qu’à cette fréquence, les gens ne s’efforcent plus de se faire signe.

 

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