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Journalistes, relevons la tête et cessons de nous auto-bâillonner!

Par Lise Lareau

C’est avec plaisir que j’ai observé les réactions aux propos de Rob Ford, qui avait traité les reporters de « larves ». Macarons, commentaires sur les réseaux sociaux, plaisanteries : ces réactions sous toutes leurs formes nous montrent que nous pouvons être fiers de notre profession. De fait, sans le travail des journalistes, deux des plus gros scandales du pays auraient été occultés. Le public et – si l’on en croit Stephen Harper – le premier ministre du pays lui-même ignoreraient tout du chèque de 90 000 $. Et n’eût été le Toronto Star et Gawker, nous n’aurions jamais entendu les allégations au sujet de Rob Ford fumant du crack.

Les journalistes ne doivent pas se laisser traiter de « larves ». Ils doivent apprendre à riposter car – si je me fie à ma récente expérience – personne d’autre ne le fera à leur place.

À la Guilde canadienne des médias, nous avons appris à nos dépens combien il est difficile de convaincre les journalistes de prendre position, et ce, même quand leurs intérêts professionnels sont en jeu. Notre syndicat comptant des milliers de membres à CBC/Radio-Canada, nous avons passé les dernières semaines à essayer d’informer les Canadiens au sujet des conséquences désastreuses qu’aurait le dernier projet de loi omnibus des Conservateurs. Entre autres choses, en effet, le projet de loi C-60 permettrait au gouvernement de s’ingérer dans les négociations collectives des sociétés d’État, dont CBC/Radio-Canada. Et puisqu’une bonne partie des conventions collectives à CBC/Radio-Canada portent sur sa fonction d’organe de presse, l’ingérence permise aux termes du projet de loi C-60 pourrait se répercuter sur les décisions en matière éditoriale. Il y a d’ailleurs un autre projet de loi visant les journalistes : le projet de loi d’initiative parlementaire C-461, qui propose de supprimer de la loi l’exclusion portant sur les sources des reporters de CBC/Radio-Canada et sur leurs carnets pour les demandes d’accès à l’information.

Nous comprenons que les reporters qui couvrent la colline du Parlement ne veuillent pas dénoncer les lois fédérales en jeu. Mais qu’en est-il de tous les autres ?

Si une poignée de journalistes à la retraite et d’anciens journalistes appartenant maintenant au milieu universitaire ont signé une lettre ouverte au Premier ministre pour dénoncer le projet de loi C-60, j’ai été effarée du nombre de journalistes qui ont refusé de prendre part à une conférence de presse contre ce projet de loi. On aurait pu penser que les membres de la Guilde (et d’autres personnes) se seraient empressés de nous appeler pour nous demander de faire quelque chose et s’enquérir de ce qu’ils pouvaient faire de leur côté. Or, nous n’avons reçu aucun appel de la sorte. Personne n’a communiqué avec nous – ni à propos du projet de loi C-60, ni à propos du projet de loi C-461.

Lorsqu’une question concerne directement CBC/Radio-Canada, il est encore plus difficile de trouver du monde pour élever la voix. En tant que société d’État, CBC/Radio-Canada n’a pas la possibilité de dépenser les deniers publics pour exercer des pressions politiques à son profit, et son président-directeur général ainsi que tous les membres de son conseil d’administration ont été nommés par le gouvernement actuel. Ainsi, les journalistes se trouvent dans une situation assez délicate et il est rare qu’ils s’opposent ouvertement à une initiative gouvernementale.

À cela s’ajoute le fait que les journalistes sont réticents à prendre position. Quant aux autres employeurs du monde des médias, ils parlent rarement de ce qui est dans l’intérêt professionnel de leurs reporters.

Pourtant, les personnes les mieux placées pour s’élever contre les mesures qui portent atteinte à l’industrie des médias et, dans le cas présent, au plus grand organe de presse du pays, sont celles qui sont le mieux renseignées à leur sujet.

C’est là que réside le tendon d’Achille du journalisme :  ceux qui sont les mieux placés pour le défendre paraissent réduits au silence. Il semblerait que l’instinct de se battre pour une noble cause ait été réprimé chez la plupart des journalistes et nombre de leurs employeurs de ce pays – à cause de l’idée qu’ils se font de leur rôle, qui serait d’être en marge de l’histoire pour rester objectifs.

Il nous faut à présent repenser ce rôle. En tant que collectif, nous ne pouvons pas nous laisser bâillonner sans rien dire, pour nous conformer à un code de déontologie quelconque. Nous ne pouvons pas compter sur autrui pour parler en notre nom. La GCM est un de nos porte-parole dans les antichambres du pouvoir, mais sa voix devrait être amplifiée par celle de ses milliers de membres, sur les réseaux sociaux tout comme dans leurs conversations avec les membres de leurs familles et leurs amis.

Nombreux sont ceux qui aimeraient voir les journalistes bâillonnés. Ne nous laissons pas faire aussi facilement.

Lise Lareau est vice-présidente de la Guilde canadienne des médias

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