Par Arnold Amber
Le 3 mai est la journée internationale pour la liberté d’expression.
Si l’on demandait aux Canadiens ce qu’est pour eux la liberté d’expression, la plupart diraient que c’est leur droit de dire, d’écrire, de crier sur les toits ou de poster sur leur blog ce que bon leur semble. Et pourtant, ils n’auraient raison qu’à moitié.
L’essence même de la liberté d’expression est bien définie dans la déclaration des droits de l’homme proclamée en 1948 par l’Assemblée générale des Nations Unies et ratifiée, entre autres, par le Canada. Il y est écrit que « tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression… et celui de chercher [et] de recevoir… les informations et les idées par quelque moyen d’information que ce soit » (c.-à-d. par les médias).
Soixante-cinq ans plus tard, le Canada fait figure honorable pour ce qui est du droit de s’exprimer librement, mais pour ce qui est de la transmission des informations des paliers fédéral, provincial et municipal du gouvernement sur leurs activités, il fait bien piètre figure. Ceux qui sont fiers d’être Canadiens devraient être horrifiés en apprenant que l’an passé, sur les 93 pays dotés de lois permettant de demander des documents concernant les activités de leurs gouvernements, le Canada s’est classé 55e, juste derrière la Slovaquie. Ottawa peut toujours se targuer, si ça lui chante, de se classer devant l’Angola et la Thaïlande – en se gardant bien de mentionner que ces deux pays ne se distinguent pas particulièrement aux chapitres de la liberté de parole et de la liberté de la presse.
Si le Canada est à la traîne, c’est que la loi d’il y a 31 ans a besoin d’une refonte majeure. Les journalistes, les personnes qui s’intéressent à la politique publique, l’organisation Journalistes canadiens pour la liberté d’expression (CJFE) et d’autres encore réclament depuis des années que des changements soient apportés à la Loi sur l’accès à l’information et à son mode d’application afin que cette loi puisse être véritablement opérante. Pourquoi cela? Parce que les gouvernements successifs – qu’ils soient conservateurs ou libéraux – ont systématiquement affaibli la loi, croyant sans doute que plus on cache de choses au public et aux médias, mieux ça vaut. Et cela, avant même l’avènement du gouvernement Harper, qui attache autant de prix à l’opacité qu’au bitume des sables de l’Alberta.
Et comment les gouvernements contournent-ils la loi ? En ayant recours à un certain nombre de ruses :
- Ils temporisent autant que faire se peut. La loi a beau stipuler que les informations demandées doivent être communiquées dans les 30 jours, ce délai est dépassé dans 45 % des cas et dans 23 % d’entre eux, il excède les 60 jours. À cet égard, la palme revient au ministère de la Défense, qui a pris 1 100 jours pour répondre à une demande.
- Lorsque le gouvernement fédéral donne suite à une demande, une grande partie de l’information est expurgée, c’est-à-dire que beaucoup de mots sont noircis, ce qui rend impossible de savoir ce qui s’est réellement passé et pourquoi. En 2011-2012, il n’y a eu que 21 % des demandes qui aient reçu une réponse complète.
- Les gouvernements édictent des règlements qui exemptent certains ministères et instances politiques de l’obligation de fournir de l’information sur la manière dont ils ont pris certaines décisions et sur les raisons de ces décisions.
En quoi cela affecte-t-il les Canadiens ? Tout d’abord, il leur est très difficile, et parfois impossible, de contraindre leurs gouvernements à rendre des comptes. Par ailleurs, en refusant de communiquer des données précises aux journalistes ou en les faisant attendre trop longtemps, on les empêche souvent de faire des reportages sur des questions importantes. Or, en cette ère d’enjeux complexes, ce que le public ne sait pas est souvent aussi important que ce qu’il sait.
Au vu du bilan combiné du gouvernement fédéral et de nombreux gouvernements provinciaux à l’égard de la Loi sur l’accès à l’information, les défenseurs de la libre expression affirment qu’il existe au Canada un « culte de l’opacité ». D’autres, observant qu’Ottawa musèle les chercheurs qui travaillent pour le gouvernement fédéral, qu’il rogne sur les fonds consacrés à la recherche et qu’il s’en prend odieusement aux écologistes qui critiquent sa politique – en particulier au sujet de la construction des oléoducs et des changements climatiques, soutiennent que cela confirme que ce sont bien les manigances politiques et l’opacité qui priment à l’heure actuelle plutôt que le droit des Canadiens à connaître la vérité.
Afin de remédier à cette situation, CJFE est d’avis qu’il convient de modifier radicalement l’orientation et les règlements actuels en renversant la vapeur : « En ce qui concerne les demandes d’accès à l’information, le principe devrait être d’y accéder et non de les rejeter. L’accès à l’information doit être la norme et le secret doit rester l’exception ».
Nous enseignons aux écoliers que le Canada est une démocratie et que la démocratie est la meilleure forme de gouvernement au monde, ou tout au moins qu’elle est meilleure que toutes les autres formes, passées ou présentes. Cela suppose un système où le droit à la liberté d’expression est un droit à double sens : le droit des personnes et des groupes à s’exprimer quand ils le souhaitent et leur droit à obtenir une réponse lorsqu’ils veulent savoir comment et pourquoi le gouvernement a pris une décision particulière. La formule qui est souvent utilisée pour décrire le mode de fonctionnement de ce pays devrait inclure le mot « transparent » et être ainsi modifiée : « paix, ordre et bon gouvernement transparent ».
Pour lire le bilan de la libre expression au Canada pour l’année 2012-2013 (Review of Free Expression in Canada) de CJFE (en anglais), visitez :
Arnold Amber est président de Journalistes Canadiens pour la liberté d’expression. Il était directeur de CWA/SCA Canada, le syndicat principal de la Guilde canadienne des médias, et réalisateur exécutif à CBC.