Par Niigaanwewidam James Sinclair
Niigaanwewidam James Sinclair est Anishinaabe (St. Peter’s/Little Peguis) et professeur associé à l’Université du Manitoba. Écrivain primé, rédacteur et militant, il a été nommé par le magazine Monocle parmi les « 20 personnes les plus influentes du Canada ». Il a également remporté le prix du chroniqueur canadien de l’année 2018 dans le cadre du Concours canadien de journalisme pour ses chroniques bihebdomadaires dans le Winnipeg Free Press.
La version anglaise de cette tribune a d’abord été publiée dans le Globe and Mail
En pleine pandémie de la COVID-19, lorsque des Canadiens nerveux cherchaient désespérément des sources d’information pour les aider à faire face à la maladie, beaucoup d’entre eux se sont tournés vers le Réseau de télévision des peuples autochtones (APTN).
APTN National News, qui a connu une hausse de 28 pour cent de son audience en ligne pendant la pandémie, est le principal – et souvent le seul – média qui couvre les expériences des Autochtones au Canada.
L’effet de la pandémie sur nos communautés s’est avérée une histoire cruciale : les communautés autochtones sont plus vulnérables à la propagation du virus en raison de l’insuffisance des infrastructures, de la surpopulation des logements et des systèmes immunitaires affaiblis par la pauvreté, et APTN a été présent dans tous les territoires autochtones avec des journalistes, des cinéastes et des conteurs.
Mais comme toutes les histoires autochtones, il ne s’agit pas seulement de les raconter, il faut aussi comprendre comment les raconter et ce qu’elles signifient.
Par exemple, il est évident que la pandémie a mis à nu le siècle et demi de génocide du Canada – son plus grand secret. Les secrets sont révélés par la vérité, et la vérité ne peut être dite que par ceux qui sont le plus touchés par le secret. C’est pourquoi, entre autres raisons, l' »autre » diffuseur national du Canada est si important.
APTN est parti d’une idée radicale : les peuples autochtones doivent raconter leurs propres histoires, pour nous permettre de concevoir nos propres façons d’exprimer qui nous sommes, pourquoi nous sommes ici, et où nous allons si nous devons arriver à nous autodéterminer véritablement.
Des écrivains et des acteurs autochtones l’avaient fait à l’occasion dans des émissions de radio et des émissions spéciales de télévision, mais l’idée d’un réseau 24 h conçu, géré et produit par des Autochtones semblait impossible.
Néanmoins, au milieu des luttes territoriales à Oka et du tristement célèbre « non » d’Eljiah Harper à l’Accord du lac Meech, un groupe d’activistes des médias communautaires a commencé à susciter de l’intérêt pour un réseau auprès du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes.
En 1991, leurs efforts sont couronnés de succès. Le Television Northern Canada Network (TVCN) voit le jour grâce à un conseil d’administration national composé de bénévoles. TVCN sera rebaptisé APTN le 1er septembre 1999, et sera diffusé dans neuf millions de foyers sur deux chaînes (APTN North et APTN South) avec une émission d’information hebdomadaire et, plus tard, quotidienne.
Au fil des ans, APTN a développé des documentaires, des émissions, des programmes épisodiques, un site Web et un service de diffusion en continu sur demande, ainsi que son émission phare : APTN National News, l’un des plus importants services médiatiques du pays.
C’est l’un des seuls espaces où les langues autochtones peuvent être entendues dans les médias, avec près de 30 pour cent des émissions d’APTN diffusées en inuktitut, cri, innu, ojibway, dakota, halkomelem, malécite, mi’kmaq, tuchtone du Nord, oji-cri et mohawk.
Des écrivains, des journalistes et des réalisateurs ont remporté des prix nationaux, dont plusieurs décernés par l’Association canadienne des journalistes. L’organisation figure régulièrement dans la liste des100 meilleurs employeurs du Canada.
Mais APTN est plus qu’un simple réseau, c’est une institution nationale. Le réseau a favorisé l’émergence d’une masse critique de journalistes autochtones qui se sont établis dans tout le pays. Il est devenu un lieu de convergence pour les écrivains autochtones qui donnent de nouvelles orientations à la production télévisuelle. Sa programmation relie les communautés isolées et offre un service indispensable aux aînés pour préserver le savoir traditionnel, et aux jeunes pour espérer en l’avenir.
APTN est devenu l’un des espaces les plus importants au pays pour les conversations et les débats, et pour imaginer la vie autochtone tout en créant un Canada différent de celui dont nous avons hérité.
Son importance nationale a été mise en évidence en 2015 lorsque la Commission de vérité et réconciliation a demandé à APTN de jouer un rôle de premier plan dans la réconciliation et d’aider le Canada en offrant « un leadership en ce qui a trait à la programmation et à la culture organisationnelle qui reflètent la diversité des cultures, des langues et des points de vue des peuples autochtones.
APTN a pris ce rôle au sérieux en élargissant ses marchés, en créant des partenariats et en diffusant des histoires jamais vues auparavant.
Par exemple, en 2018, APTN s’est associé à Sportsnet pour diffuser Hockey Night in Canada en cri des plaines, une première pour une langue autochtone. Ce partenariat a connu un tel succès que le projet a été renouvelé en vue de réaliser six matchs par an pendant les trois saisons suivantes.
Par ailleurs, APTN est le seul endroit qui offre une couverture complète des élections de l’Assemblée des Premières Nations, des événements politiques comme les camps de protestation à Standing Rock dans le Dakota du Nord, et des prix Indspire Awards.
L’événement annuel le plus populaire du réseau est l’émission en direct de la Journée des peuples autochtones (Aboriginal Day Live), qui attire plus d’un million de téléspectateurs et est produit dans plusieurs villes dans les communautés autochtones partout au Canada.
Ce fut un long parcours de 30 ans. Mais ce n’est que le début.
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