Ou comment un membre de la Guilde a mis sa carrière en péril et obtenu gain de cause
En juin de cette année, Denis-Martin Chabot a pris sa retraite et quitté CBC/Radio-Canada après 32 ans de carrière à titre de présentateur, reporter local et reporter de réseau. Parmi ses plus célèbres reportages figurent la couverture de la fusillade meurtrière de l’école secondaire Columbine et l’exécution d’un Canadien qui se trouvait dans le couloir de la mort du Texas.
Mais M. Chabot laisse aussi un legs important à tous les employés gais et toutes les employées lesbiennes de CBC/Radio-Canada. En 1993, M. Chabot était chroniqueur parlementaire à Edmonton. Son compagnon étant atteint de la maladie de Huntington, M. Chabot chercha à obtenir des prestations de maladie pour son conjoint et des prestations de retraite de conjoint survivant. Mais il essuya un refus de CBC/Radio-Canada.
C’est alors qu’il décida de se battre.
« En tant que journaliste, je me sentais mal à l’aise de me retrouver dans les nouvelles, se souvient M. Chabot. Mais je savais que les droits humains étaient plus importants que l’actualité. »
M. Chabot affirme que son combat n’aurait pas été possible sans l’appui de la Guilde canadienne des médias. « Je savais que mon travail était assuré. Je savais que j’étais privilégié d’avoir un emploi et je savais qu’on ne pouvait pas me mettre à la porte parce que j’étais syndiqué. Il fallait donc que je me batte pour ceux qui n’en avaient pas les moyens. »
La Guilde déposa un grief au motif qu’en refusant d’accorder des avantages sociaux à des conjoints de même sexe, CBC Radio-Canada faisait preuve de discrimination fondée sur l’orientation sexuelle, en violation des termes de la convention collective.
À l’époque, la position des employeurs était que l’octroi d’avantages sociaux à des personnes célibataires aux yeux de la loi serait coûteux, car ils soutenaient que c’était la porte ouverte à l’extension des avantages sociaux à des gens engagés dans toutes sortes de relations.
Le grief fut soumis à l’arbitrage et en février 1995, l’arbitre, Donald Munroe, se prononça sans équivoque en faveur de la Guilde. Dans les mois qui suivirent, la société CBC/Radio-Canada annonça qu’elle offrirait des régimes d’assurance maladie, d’assurance dentaire et d’assurance vie aux conjoints de même sexe. Cette grande victoire figure dans les annales juridiques des droits des homosexuels au Canada et c’est un bel exemple de la façon dont les conventions collectives peuvent transformer des vies. Toutefois le combat de M. Chabot n’était pas terminé.
En effet, il continuait de se heurter au refus catégorique, de la part de CBC/Radio-Canada, d’octroyer des prestations de retraite aux survivants en dépit de la décision rendue par l’arbitre. Les questions entourant les régimes de retraite sont assez complexes, car elles font intervenir la Loi de l’impôt sur le revenu, qui ne reconnaissait pas les couples de même sexe. CBC/Radio-Canada (et d’autre employeurs) affirmèrent qu’en conséquence, le paiement de prestations de retraite reviendrait encore plus cher pour les conjoints de même sexe.
CBC/Radio-Canada présenta une demande de révision judiciaire de la décision de l’arbitre. Et en juillet 1998, le juge de la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta se rangea – lui aussi – du côté de la Guilde.
La Société d’État continua de s’opposer farouchement au versement de prestations de retraite aux survivants d’un conjoint de même sexe. Les membres de la haute direction de CBC/Radio-Canada menacèrent de porter l’affaire devant la Cour suprême du Canada, mais ils étaient à contre-courant de l’histoire et une nouvelle loi allait contrecarrer leurs desseins.
Pendant que des affaires semblables étaient portées devant les cours de justice et les tribunaux des droits de la personne, le gouvernement libéral fit adopter, en 2000, la Loi sur la modernisation de certains régimes d’avantages et d’obligations (LMRAO), qui accordait enfin aux conjoints de fait de même sexe les mêmes avantages que ceux dont bénéficiaient les conjoints de fait de sexe opposé.
« En jetant un regard en arrière, maintenant qu’on est en 2016, ce n’était pas rien de se déclarer publiquement homosexuel », dit M. Chabot. Je n’ai pas particulièrement aimé déballer ma vie privée, mais je n’hésiterais pas une seule seconde à refaire ce que j’ai fait. »
À présent que le mariage entre conjoints de même sexe est légal au Canada depuis plus de 10 ans, il est difficile de croire que la lutte ait été aussi dure. Il s’agit d’une situation dans laquelle le leadership syndical avait une longueur d’avance sur les dispositions législatives en matière de droits de la personne. Et c’est une chose dont nous pouvons tous être fiers.
Lise Lareau,
vice-présidente, Guilde canadienne des médias