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Le glas de la télévision locale gratuite a-t-il finalement sonné?

Laissez-les s’abonner au câble. C’est ce que font valoir les principaux télédiffuseurs canadiens lorsqu’on leur demande s’ils doivent continuer d’envoyer leurs signaux en direct aux antennes en oreilles de lapin à travers le pays.

Le CRTC, l’organisme de réglementation de la télévision au Canada, s’est interrogé à savoir si les fonds pouvant servir à améliorer l’équipement de transmission en direct des signaux télévisés sur les ondes publiques seraient mieux utilisés à la programmation.

La question mérite d’être soulevée. Mais les plus importants télédiffuseurs, ceux que nous connaissons tous – CBC, Radio-Canada, CTV, CHUM, Global, TVA, TQS – ont profité de l’occasion pour demander la fin de l’accès gratuit à la télévision en direct. Leur argument est le suivant : la plupart des gens sont déjà abonnés à la télévision par câble ou par satellite. Pourquoi ne pas forcer tout le monde à s’abonner?

La TVHD comme excuse
Le passage à la télévision à haute définition explique tant l’intérêt du CRTC que des télédiffuseurs. La TVHD exige non seulement un nouvel équipement de production et de nouveaux téléviseurs. L’envoi d’un signal HD en direct requiert un système de transmission numérique. À l’heure actuelle, la grande majorité des télédiffuseurs au pays recourent encore à la transmission analogique. À l’opposé, les télédiffuseurs de la plupart des pays industrialisés sont largement en voie de mettre à niveau les systèmes de transmission en direct, délaissant l’analogique au profit du numérique.

Dans les faits, même en Allemagne où seulement 5 % de la population capte des signaux télévisés en direct, les télédiffuseurs publics ont été contraints d’abandonner complètement la transmission analogique pour le numérique, sans perdre un abonné. Le tout était une question de politique publique.

Le 27 novembre dernier, le président de la CBC/Radio-Canada, M. Robert Rabinovitch, a déclaré au CRTC : « nous n’avons ni les fonds, ni l’intérêt à ce que la politique publique appropriée revienne au modèle des années 70, où des émetteurs étaient installés dans toutes les communautés de plus de 500 habitants. »

Cet argument pourrait sembler acceptable, s’il s’agissait dans les faits de communautés d’environ 500 habitants.

Dans les faits, la CBC/Radio-Canada propose de mettre à niveau seulement 44 émetteurs à travers le pays, pour les services français et anglais. Ces émetteurs seraient situés sur les « principaux marchés » où la CBC/Radio-Canada possède déjà une station locale. Les 618 autres sites émetteurs – les réémetteurs – seraient mis à la retraite, dans le cadre de ce que l’on appelle un programme hybride.

Et comme il se doit, la CBC/Radio-Canada est déjà à mettre en place un programme hybride, avec l’approbation du CRTC. Plus tôt cette année, la station affiliée à la CBC à Kamloops (population: 82 000) a mis fin à ses rapports avec le télédiffuseur public pour se tourner du côté de CanWest global.

La CBC, faisant valoir qu’elle n’avait pas les fonds requis pour installer son propre émetteur à Kamloops et que seulement un petit nombre d’abonnés obtenaient une réception en direct de toute façon, fut autorisée à rester hors des ondes à Kamloops.

Une résidente de Kamloops, Pam Astbury, a fait valoir devant le CRTC : « La CBC offre la meilleure programmation au Canada, payée à même les fonds publics canadiens. Il est donc aberrant que le service ne soit plus disponible pour tous. » Elle a ajouté : « nous comprenons que la technologie évolue et que les fonds sont restreints, mais la CBC ne doit pas abandonner les communautés qui lui sont fidèles sous prétexte de décisions à courte vue. »

Mme Astbury appartient à un groupe appelé Save our CBC Kamloops, qui a recueilli une pétition de plus de 2 000 signatures pour ramener la CBC sur les ondes publiques. Le groupe rejoint les étudiants et les personnes âgées, de même que tous ceux qui ne désirent pas, ou ne peuvent se permettre, l’abonnement à 200 canaux de télévision. À ce jour, la CBC n’a pas donné suite à leur requête.

Le défi de la programmation locale
En plus de la perte de l’accès gratuit aux télédiffuseurs publics, le recours à la télévision par câble et par satellite créé d’autres problèmes pour les abonnés des petites communautés canadiennes : comment avoir accès à la programmation locale et régionale? Pour les stations, comment faire face à une perte de contrôle totale tant pour le mode que la période de diffusion?

Au Nouveau-Brunswick, par exemple, les abonnés d’ExpressVu doivent attendre à 18 h 30 pour voir le bulletin de nouvelles de la CBC diffusé à 18 heures. Mais c’est encore mieux que les abonnés de StarChoice, qui n’obtiennent aucune nouvelle régionale de la CBC.

À Salmon Arm, en Colombie-Britannique (population: 15 210) une résidente a fait part à la Guilde de ses ennuis avec la télévision.

« Nous ne pouvons pas capter la télévision de la CBC sans le câble, et nous ne pouvons pas capter l’émission CBC Newsworld AVEC le câble » a écrit avec frustration Maggie Cameron. Elle a ajouté « pendant quatre ou cinq ans, nous avons pu capter CHBC (maintenant une station Global), Family Channel, CNN et Knowledge Network sur le câble pour environ 10 $ par mois. Nous devons maintenant payer 30 $ par mois pour ce service, et pour beaucoup de stations américaines insignifiantes que nous ne voulons pas. Nous avons annulé notre abonnement au câble et tout perdu à la télévision, en plus de CBC Radio 2. »

Une autre question laissée sans réponse est la façon dont les résidents du Nord canadien auraient accès à une programmation télévisée locale autochtone, à prix abordable, ainsi qu’à de l’information météo essentielle. Même le réseau Aboriginal Peoples Television Network suggère d’abandonner la transmission en direct dans le Nord, et les intentions de la SRC/CBC, qui diffuse maintenant pour les communautés nordiques éloignées dans huit langues autochtones, ne sont pas claires.

Et que dire de l’accès à la programmation en français à l’extérieur du Québec?

La CBC et les autres stations conventionnelles font valoir que les entreprises de télévision par câble et par satellite devraient avoir accès à toutes les stations locales, et les fournir à leurs clients fidèles. Ces entreprises ne se plaignent pas vraiment, bien qu’elles font valoir qu’il leur faudrait élargir leur infrastructure en vue de traiter tous ces nouveaux signaux, surtout lorsque la majeure partie de la programmation sera convertie à la bande passante HD.

Au début des audiences, une étude soumise au CRTC conclut que StarChoice et ExpressVu devront toutes deux lancer deux nouveaux satellites dans l’espace d’ici 2020, pour permettre tant la HD que l’accès à toutes les stations locales. Le rapport ne porte pas sur les compagnies de câble, mais il est évident qu’elles devront aussi améliorer leur bande passante. Le rapport suggère d’offrir des « incitatifs ou des subventions » pour inciter les entreprises de télévision par câble et par satellite à offrir les stations locales. Mais le rapport ne mentionne rien sur les coûts de mise à niveau de cette infrastructure énorme et les incitatifs/subventions, ni sur les bailleurs de fonds.

Plus de clarté requise sur les coûts
En bout de compte, il peut sembler plus logique de simplement subventionner la mise à niveau du système en direct, qui offrira probablement une plus grande flexibilité de diffusion locale et régionale, surtout dans l’éventualité d’une catastrophe locale. À tout le moins, il serait pertinent que le CRTC et le fédéral examinent tous les différents coûts impliqués, avant de simplement autoriser les télédiffuseurs à quitter les ondes dans les communautés jugées peu pratiques ou peu profitables, et avant de mettre à la retraite des infrastructures publiques mises en place par la CBC/ Radio-Canada au cours des décennies.

À l’heure actuelle, on sait que les estimations de la CBC/Radio-Canada pour la mise à niveau numérique coûteraient 278 millions $. C’est une somme importante, qui pourrait être financée par une subvention fédérale spéciale et amortie sur plusieurs années. De même, ces coûts pourraient possiblement être partagés avec d’autres, notamment les télédiffuseurs provinciaux, communautaires et à but non lucratif.

Mis à part la HD, une autre caractéristique d’un système de transmission numérique en direct est la capacité à diffuser plus d’une station à l’aide d’une seule fréquence. Ce que signifie que dans les communautés plus petites, un seul émetteur pourrait desservir jusqu’à six stations en direct avec une définition standard. C’est une possibilité qui plairait certainement aux résidents de Kamloops et de Salmon Arm.

Au Royaume-Uni et en Allemagne, les diffuseurs se sont regroupés afin d’offrir plusieurs stations en direct à leur auditoire, à l’aide d’une seule fréquence. Dans certaines régions, les résidents de ces pays ont gratuitement accès jusqu’à 30 canaux avec la définition standard. C’est certes une formule qui pourrait compliquer la vie des entreprises de télévision par câble et par satellite. Est-ce la raison pour laquelle cette approche n’a jamais été envisagée sérieusement au Canada?

Plutôt que de parler de livraison hybride, comme l’a proposé la SRC/CBC, pourquoi ne pas envisager plutôt la « réception hybride »? Dans les foyers nord-américains qui sont abonnés à la télévision par satellite, il est fréquent de retrouver un deuxième, voire un troisième téléviseur relié à une antenne, justement pour capter les émissions locales.

« Les télédiffuseurs traditionnels ont empoché de jolis profits en se servant des ondes publiques » a fait valoir Barbara Byers du Congrès du travail du Canada devant le CRTC le 1er décembre dernier. Mme Byers parlait alors pour plus de trois millions de travailleurs et leurs familles.

« La Loi sur la radiodiffusion stipule qu’ils continuent d’avoir l’obligation de servir l’intérêt public » a ajouté Mme Byers. « On doit se demander pourquoi ils devraient soudain faire à leur guise quant au maintien de leur infrastructure de transmission. Leurs raisons peuvent sembler valables et une nouvelle approche peut s’avérer intéressante, mais nous croyons que le débat est loin d’être terminé. »

La Guilde a fortement recommandé au CRTC d’élargir le débat public sur la question, avant d’autoriser les télédiffuseurs à progressivement mettre leurs émetteurs à la retraite.

Karen Wirsig est la co-ordonnatrice des communications de la Guilde canadienne des médias.

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