La semaine dernière, j’ai eu une révélation. En tant que nouvelle présidente (relativement, puisque ça fait quatre ans que je le suis), je me suis souvent demandé comment je trouverais les mots justes au moment voulu. Après tout, les dirigeants syndicaux ne sont que des bénévoles propulsés au sommet, relevés pour un temps de leur véritable fonction (celle de reporter de longue date dans mon cas) pour pouvoir endosser un rôle « politique ». C’est un rôle qui peut être lourd à assumer en des temps difficiles – et nous vivons des temps difficiles. Ça m’est apparu très clairement la semaine passée quand Hubert Lacroix, le président de Radio-Canada, a annoncé qu’il allait supprimer autour de 1 500 emplois au cours des cinq prochaines années. Comme tout le monde dans la salle, je suis restée sans voix… mais pas pour longtemps.
Notre réaction s’expliquait en partie par la conclusion enjouée du courriel dans lequel il annonçait la tenue du débat public – en anglais, il a signé : « Cheers, Hubert ». De plus, ses remarques liminaires optimistes – qu’il s’agissait d’un « jour heureux », porteur de « bonnes nouvelles » en laissaient espérer de meilleures… pour moi, en tout cas.
La partie relative au bon côté des choses m’échappe encore : des déclarations à l’effet qu’il sera possible d’équilibrer le budget en cinq ans. Le mauvais côté? Cette partie-là me fait l’effet d’un coup de poing dans le ventre – Hubert Lacroix a calmement annoncé les compressions les plus brutales jamais subies par Radio-Canada en ses 70 ans d’histoire : l’élimination de 1 500 emplois pour forger un radiodiffuseur allégé et plus « agile » d’ici 2020. Cela, deux mois seulement après l’annonce d’importantes coupes dans les actualités, la musique, la programmation locale, les sports…
Des milliers d’employés de tout le Canada ruminant silencieusement l’information, essayant de faire la part des choses et de voir le « bon » côté de la situation ou se demandant si par hasard on aurait mal entendu.
Quand j’ai réalisé qu’on allait en rester là, quelque chose m’a poussée à me lever et à demander « Au lieu d’éliminer des emplois, pourquoi ne pas se battre pour un financement plus important? ». Réponse d’Hubert Lacroix : sa demande en ce sens n’avait abouti à rien, alors que pouvait-il faire d’autre? La figure d’un ancien président de Radio-Canada passa dans mon esprit (le fier Tony Manera qui avait donné sa démission en signe de protestation dans les années 90) et les démissions de fonctionnaires admirables comme Munir Sheikh, ancien statisticien en chef du Canada et dernier démissionnaire en date. « Démissionner en signe de protestation? » ai-je suggéré. Des applaudissements diffus ont salué ma suggestion. J’étais loin de me douter des tourments que j’allais endurer.
Hubert Lacroix a expliqué pourquoi la démission ne lui semblait pas être une solution. Ayant eu une longue et brillante carrière d’avocat d’affaires avant d’entrer à Radio-Canada, il n’eut aucun mal à trouver les mots qu’il fallait. La presse a rapporté que « Le seul aspect prometteur de la réunion de Radio-Canada de jeudi a été l’opposition résolue du personnel ». Pendant ce temps, le président de Radio-Canada campait sur ses positions en déclarant aux reporters : « La question n’est pas celle des suppressions d’emplois. C’est une question de vision, de modèle financier durable ». Ça faisait des semaines que des membres de la GCM demandaient au conseil d’administration de Radio-Canada (dont Hubert Lacroix est membre) tant en groupe qu’individuellement, de venir nous rencontrer, de se joindre au syndicat pour défendre le radiodiffuseur public ou juste d’écouter ce que nous avions à dire – en vain.
À l’issue de la réunion, j’ai été entourée par des collègues qui brûlaient de dire la même chose. Mon commentaire favori : le laconique « magnifique ».
Puis, un déluge de tweets et des phrases lapidaires :
– Merci d’avoir été courageuse et d’avoir dit les choses comme elles sont. Ne renoncez pas!
– Vous avez exprimé l’avis de la majorité d’entre nous
– Je voulais juste vous dire bravo
– …vous avez bien répondu à Hubert et Heather en disant tout ce que nous, les travailleurs, aurions voulu dire
Et ensuite, des courriels un peu plus détaillés :
– C’est le moment ou jamais de mettre le président et son conseil d’administration dans une position inconfortable. Tout conseil d’administration qui donne sans arrêt de mauvaises nouvelles à ses actionnaires devrait être forcé de démissionner.
– On a l’impression qu’Hubert et Heather sont complètement déconnectés. Ça n’a rien d’une vision; c’est juste un autre plan d’équilibrage de budget… ils se cramponnent, c’est tout.
– Je doute qu’ils aient saisi l’ampleur actuelle du mécontentement des travailleurs.
– Ils sont sur le point de nous fourrer et on n’est pas obligés de les aider.
Un petit rappel :
– Nombre d’entre nous se demandaient ce que faisait la Guilde au sujet des compressions et aujourd’hui, vous avez parlé franchement.
Et pour finir, ce commentaire prémonitoire :
– …Ce sont des temps difficiles pour être dans la position où vous êtes. Ne prenez pas les critiques personnellement…
Les messages continuaient d’arriver dans une sorte d’euphorie en appui à ce qui devait être dit…
Ce qui devait être dit?
Comme dans tout ce qui est politique, il y a des divergences d’opinions, et j’allais bientôt entendre un autre son de cloche. Pas très fort, mais une couple de personnes étaient contrariées que j’aie « mis le président de Radio-Canada dans l’embarras ». Un membre était si fâché qu’il a lancé une pétition me demandant de démissionner à la place d’Hubert Lacroix; et un abîme s’est ouvert entre moi et un collègue de longue date, furieux que j’aie exprimé le fond de ma pensée.
Je pourrais dire que le rôle de présidente de syndicat est d’être forte et non d’être populaire, mais ce n’est pas tout à fait vrai, puisqu’il faut être populaire pour se faire élire. Ce que je sais à présent, c’est qu’il faut aussi avoir la peau dure. Toutefois, ce qui est encore plus important, c’est d’agir selon ses convictions en espérant que ceux qui ne sont pas d’accord accepteront quand même de faire front commun, surtout à un moment où « Le radiodiffuseur public du Canada est en voie d’anéantissement », comme le disait un éminent radiodiffuseur dans le Toronto Star. À temps difficiles, choix difficiles – et les temps sont difficiles.
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Carmel Smyth,
présidente nationale, Guilde canadienne des médias