CATHY BROWNE
Pour la GCM/SCA Canada
La plupart du temps, la vie sur le marché du travail se déroule ainsi pour une personne handicapée. Imaginez :
– Vous faire dire que vous accommoder pour que vous puissiez être performante dans votre travail coûterait trop cher ou serait trop compliqué.
– Voir des clients ou des collègues refuser de travailler avec vous parce que c’est trop difficile.
– Être étiquetée comme « pas assez douée » tout en vous faisant dire que vous êtes une « inspiration ».
– Et l’une de mes préférées : vous faire dire à quel point vous devriez être reconnaissante d’avoir un emploi, peu importe sa nature.
Je n’ai pas à m’imaginer ces situations. Après plus de quatre décennies passées en milieu de travail, je les ai toutes vécues. Et je ne suis pas la seule.
Les personnes handicapées représentent 22 % de la population canadienne âgée de plus de 15 ans. Un pourcentage qui n’inclut pas les Canadiens ayant choisi de ne pas révéler leur handicap. Malgré cela, Statistique Canada estime que plus de 600 000 Canadiens en situation de handicap qui seraient aptes à occuper un emploi dans un marché du travail inclusif sont à l’heure actuelle sans emploi.
En vertu de mes expériences passées, mes attentes étaient très basses lorsque j’ai eu l’occasion, en septembre 2019, de travailler pour CBC Vancouver dans le cadre du programme « Abilicrew Placements for Excellence », ou CAPE, mis en place par le diffuseur public. Ce programme de stages de 12 semaines vise à lancer la carrière de personnes handicapées, à mettre en valeur leurs différentes habiletés et talents, et à générer des discussions et des occasions d’apprentissage en lien avec le handicap, l’accessibilité et l’inclusion.
Comme j’ai pu le découvrir, CAPE est un programme axé sur la mise en place d’accommodements personnalisés pour tous les participants afin de réduire les obstacles à leur réussite au travail.
Dans mon cas, soit celui d’une personne ayant une perte de vision de 90 %, m’accommoder signifiait tout simplement me fournir un plus grand écran d’ordinateur. Ce simple ajustement m’a permis de découvrir une variété de compétences que je ne savais même pas que je possédais, telles que produire des reportages pour The Early Edition, une émission de radio matinale diffusée dans la région de Vancouver.
Cette photographie prise par Cathy Browne illustre sa manière de voir : « Pas si mal de très près, mais plus on s’éloigne, pire c’est. »
Deux ans plus tard, je fais toujours partie de la grande famille de la CBC, je produis toujours des reportages et je continue encore et toujours à amplifier les voix des personnes handicapées grâce à Access Denied, une chronique sur le handicap que j’ai créée.
J’agis maintenant aussi à titre de mentore pour le programme CAPE. Compte tenu des difficultés et de l’isolement provoqués par la pandémie en ce moment, il est absolument essentiel de s’assurer que tous les participants aient accès à une variété d’accommodements qui leur permettent de profiter au maximum de leur stage.
CAPE continue de fournir une aide précieuse, que ce soit sous forme de matériel, de logiciels, d’horaires de travail flexibles, d’approches créatives pour apprendre en travaillant, ou de soutien individuel en face à face (actuellement toujours à distance, malheureusement).
Le programme de la CBC prouve qu’il est possible d’offrir un milieu de travail accessible et inclusif, souvent avec très peu de modifications et de frais encourus.
Le programme procure un avantage supplémentaire : dans un média d’information comme le nôtre, CAPE a une influence positive sur la manière dont nous traitons et rapportons l’information impliquant ou visant les personnes handicapées, leurs familles et la collectivité dans son ensemble.
Je souhaite donc que CAPE devienne un modèle à suivre pour les entreprises et organisations de partout au Canada qui souhaitent adhérer aux principes d’accessibilité et d’inclusion.
J’espère également qu’un jour, le programme CAPE n’existera plus, car les milieux de travail inclusifs et équitables seront simplement la norme. Mais je suis assez pragmatique pour savoir que nous ne sommes pas encore rendus là.
Il semble approprié pour moi d’effectuer cette réflexion sur le programme CAPE, l’équité et l’inclusion la veille de la Journée internationale des personnes handicapées, qui a lieu tous les 3 décembre.
Mais je ne veux pas non plus qu’il y ait de « journée » pour les personnes handicapées. Je ne veux pas qu’on braque les projecteurs sur le handicap pour le célébrer ou s’en émerveiller. Je ne veux pas d’une journée qui demande au monde entier de prendre conscience, d’agir, et de se soucier soudainement des personnes handicapées. Je ne veux pas d’une journée conçue pour que la population se sente temporairement motivée, inspirée ou coupable.
Je ne veux pas d’une journée qui provoque chez moi de la colère, de la tristesse et de la frustration, une journée qui me rabaisse et me déroute.
Je crois de tout cœur que l’accessibilité, l’inclusion et l’élimination des obstacles devraient être aussi naturelles que le fait de respirer. Avoir une simple journée pour signaler le besoin d’avoir toutes ces choses ne fait que sensibiliser la population à cet enjeu pour un bref moment avant que cet enjeu ne retombe dans l’oubli.
Ce n’est pas ce dont nous avons besoin. Mais c’est ce que nous avons pour l’instant.
Je ne suis qu’une seule personne. Mais si un assez grand nombre de gens comme moi se battent et réussissent à convaincre, à avoir de l’influence et à obtenir gain de cause, alors nous n’aurons plus jamais à « célébrer » cette journée.
(Cathy Browne est réalisatrice associée pour CBC Vancouver et membre de la Guilde canadienne des médias, section locale 30213 de SCA Canada. Elle est également coprésidente du groupe de ressources pour les employés Abilicrew de la CBC.)