Les efforts de promotion de la démocratisation des médias au Canada sont éparpillés et divisés au moment où les pressions augmentent pour continuer la rationalisation économique des médias. Il existe des indications que le gouvernement fédéral est sur le point d’assouplir les restrictions concernant la propriété étrangère dans le domaine des télécommunications. De plus, avec l’augmentation des liens de propriété et d’exploitation entre les télécommunications, la radiodiffusion et les médias écrits, il semble que les restrictions dans ces domaines d’activités sont aussi sur le point de disparaître.
L’histoire démontre que l’ouverture aux investissements étrangers dans les médias canadiens n’augmente pas la portée et la diversité. Une chose est à prévoir, cette ouverture aura sûrement comme effet d’augmenter le prix des actions. Dans le monde des médias, les profits proviennent des économies d’échelle et de la « réorientation » du contenu qui est créé à des fins d’un média et utilisé dans un autre. La société Québécor fait beaucoup usage de cette stratégie de rationalisation à Toronto. Elle combine le contenu de son quotidien The Sun et de son site Web canoe.ca dans sa nouvelle émission de télévision « Canoe Live » sur Sun TV. Cette émission a été mal reçu par la critique.
Même un examen rapide des kiosques et des horaires de télévision démontre que le marché canadien des médias est déjà un prolongement de ses contreparties américaines. Une plus grande intégration de ces deux marchés n’augmentera pas la diversité, surtout pas en ce qui attrait aux perspectives canadiennes sur le monde.
Pendant que des voix réclament des changements dans la structure et l’exploitation des médias au Canada, les pressions du public sont fragmentées et le processus de mise en place des politiques n’est pas propice au vrai changement. Toutefois, le mécontentement concernant la propriété et le manque de diversité des médias existe depuis bien longtemps dans ce pays, si on pense aux luttes des années 1930 pour implanter la radiodiffusion publique et la Société Radio-Canada.
En 1996, une décision du CRTC change la réglementation qui empêchait les sociétés propriétaires de journaux, de stations radio et de télévision ainsi que les sociétés de télécommunications de posséder un média d’un autre domaine. Cette décision ouvre la voie à une série de transactions « inter-médias » survenues en l’an 2000 qui bouleverse radicalement le paysage médiatique canadien. Après une « orgie » de fusions, trois grandes sociétés font surface et elles prennent les commandes du marché canadien des nouvelles : CanWest Global, Bell Globemedia et Québécor.
À la suite de ces fusions, des appels sont lancés pour qu’une enquête fédérale examine les effets de ces consolidations surtout à cause d’incidents d’ingérence dans le contenu éditorial et de renvois, particulièrement lorsque CanWest prend possession du groupe de presse Southam.
Pendant que la rationalisation des sociétés privées et en quête de profits va bon train, le public et les médias communautaires ont aussi eu à vivre au cours des 15 dernières années avec des pressions causées par la déréglementation. Les effets de cette déréglementation ont été les compressions budgétaires à la SRC/CBC, un vent de privatisation des diffuseurs publics provinciaux et des changements réglementaires chez les cablodistributeurs qui a permis la diminution du financement obligatoire de la télévision communautaire. Ces changements aussi ont provoqué des inquiétudes chez toute une panoplie de groupes de la communauté.
Même si le gouvernement fédéral n’a pas agi pour répondre à ces inquiétudes, ces préoccupations se sont retrouvées dans un rapport de 2003 du Comité permanent du Patrimoine canadien, connu sous le nom de Rapport Lincoln. Ce rapport a incité le Comité sénatorial permanent des transports et des communications à mettre sur pied une enquête pour étudier la diversité et la qualité des bulletins de nouvelles et des informations offerts aux Canadiens. La Guilde canadienne des médias a fait des présentations au Comité et lors de l’enquête.
Le rapport Lincoln fait une série de recommandations qui veulent assurer l’indépendance éditoriale, contrôler la propriété « inter-médias », soutenir la radiodiffusion publique et appuyer la radiodiffusion communautaire. Aucune de ces recommandations ont vu le jour jusqu’à présent mais la ministre conservatrice du Patrimoine, Bev Oda, prévoit faire part de la position de son gouvernement sur le rapport Lincoln au cours des prochains mois. Les audiences du Comité sénatorial se poursuivent.
Autre que réformer les médias privés, il existe une façon de résoudre le problème de la diversité dans les médias. Il s’agit d’augmenter le nombre de voix et de diffuseurs alternatifs. Les médias « alternatifs » devraient inclure et encourager la diversité politique et sociale. Ces organisations ont comme raison d’être de desservir les intérêts de certains groupes sociaux et leur mandat n’est pas de faire des profits. Idéalement, ces diffuseurs seraient exploités dans le cadre d’organisme à but non lucratif ou d’une coopérative. Parmi les organisations aptes à être incluses : les journaux ethniques et syndicaux, les revues environnementales, les médias autochtones et tous les autres médias qui ont un mandat progressiste.
Il y a plusieurs médias écrits, électroniques et en ligne au Canada qui répondent à ces critères. Toutefois, la plupart d’entre eux, à cause de leur petite taille et de leur portée limitée, ne jouissent pas de stabilité financière. De plus, il existe très peu de soutien gouvernemental pour promouvoir le développement de ces médias et certaines des structures qui existaient ont peu à peu disparu au cours des dernières décennies.
Dans le contexte d’une lutte pour la réforme des médias, les intérêts des médias alternatifs sont souvent négligés ou complètement occultés par les intérêts de ceux qui travaillent sur les questions touchant les médias privés et la SRC/CBC.
Donner une plus grande place dans les initiatives de réforme aux préoccupations des gens qui travaillent avec ces médias pourrait être un pas important dans la consolidation d’un mouvement en faveur de la démocratisation des médias au Canada.
Cet article est une version écourtée de celle qui est parue dans la revue Relay. Pour lire la version originelle (en anglais), cliquez sur le lien suivant : http://www.socialistproject.ca/relay/relay11.pdf.
David Skinner enseigne au programme d’Études des médias et communications de l’université York à Toronto et il est engagé dans la lutte pour la démocratisation des médias.