Quelque chose ne va pas lorsqu’une entreprise pousse ses travailleurs à faire la grève à deux reprises au cours des 6 dernières années.
C’est ce que pensent plusieurs des 1 100 employés du Winnipeg Free Press qui sont toujours sur le piquet de grève après 11 jours d’un arrêt de travail qui a commencé le lundi de l’Action de grâce.
Les pourparlers étaient au point mort lors de la première semaine du conflit mais ils ont repris le 21 octobre. Ce développement nous redonne de l’optimisme. La direction a abandonné la plupart des concessions qu’elle exigeait et qui nous avaient incité à faire la grève. Mais il en reste encore et nous n’avons pas vraiment réalisé de gains significatifs. De plus, nous n’avons pas trouvé un terrain d’entente au sujet d’une augmentation salariale raisonnable.
Même si le Free Press se trouve à Winnipeg, le journal n’appartient pas à Canwest. Il est un des derniers quotidiens d’une grande ville du pays qui soit encore indépendant. Il est la propriété de l’homme d’affaires local, Rob Silver, et du magnat de l’industrie des pâtes et papiers de Vancouver, Rob Stern. C’est ce dernier qui était aux commandes au moment de renouveler la convention collective. Le peu que je connais de lui, je l’ai appris sur Internet. Je n’ai jamais vu son visage ou entendu sa voix depuis plus de 6 ans que je travaille au Free Press à lui permettre d’engranger plus de 20 millions de dollars par année. Tout ce que je peux vous dire c’est qu’il nous a incité à faire la grève en 2002 et qu’il récidive encore cette année en exigeant de presque tout le monde dans l’organisation une multitude de concessions, dont plusieurs font preuve de mesquinerie.
Voici un résumé de ces concessions. M. Stern voulait réduire de 40% les indemnités de maladie, il voulait aussi réduire de 5 à 10% le salaire des employés de nuit, tels que les réviseurs, et il proposait de mettre à pied environ 40 personnes sans même leur offrir une indemnité de licenciement respectable. Les livreurs de journaux, ceux qui se lèvent à 2 heures du matin pendant les hivers manitobains, auraient à livrer plus de journaux en retour de moins de salaire en l’absence d’une formule qui les compenserait pour le prix de l’essence qui est à la hausse. Les employés à temps partiel perdraient des acquis au plan de l’ancienneté et de leurs vacances. Et comme beaucoup de journaux ont déjà fait, il veut créer une nouvelle classification d’emploi dans la salle de rédaction en créant un seul « journaliste » à la place des réviseurs, des photographes et des reporters. Ceci voudrait dire que tout le monde aurait à accomplir tous les boulots. Un reporter couvrirait un jour les faits divers et il serait muté le jour suivant au poste de réviseur. Si vous voyez beaucoup plus de fautes de frappe, si les photos commencent à être un peu floues ou si la qualité de la couverture journalistique commence à piquer du nez, vous saurez pourquoi.
Au nom des membres de la GCM travaillant à CBC/Radio-Canada à Winnipeg, Joe Dudych présente un chèque de 1000$ aux grévistes du Winnipeg Free Press.
Pour ma part, je vous dirais que la pire chose au sujet de cette grève, est l’impact négatif sur le moral des troupes. Le mois dernier, j’étais vraiment fière de travailler au Free Press. La une du journal qui est, entres autres, toute en photos a reçu plein d’éloges. Nous avons une des seules rédactrices en chef au pays. Nous pratiquons un journalisme engagé sur des sujets comme les ratés du système manitobain d’aide à l’enfance et la pollution à Flin Flon. Notre tirage est à la hausse et nous avons apporté au cours des dernières années énormément d’améliorations à notre site Internet.
En général, M. Stern nous laisse tranquille pour que nous puissions pratiquer du bon journalisme et lui faire gagner de gros sous. Mais tout ce travail qui contribue à notre fierté du journal est en vain car à tous les 3 ans, lors du renouvellement de la convention collective, M. Stern et son avocat enragé, Milt Christiansen, veulent s’en prendre à nos acquis.
En tant que journaliste, je fais preuve de scepticisme lorsque j’entends la propagande névrosée des syndicats. Mais je comprend maintenant que le but de M. Stern est d’éliminer tous nos droits acquis par le syndicat au cours de la dernière génération, de vider la convention collective de son essence et d’affaiblir mon syndicat, la section locale 191 du Syndicat canadien des communications de l’énergie et du papier. Sa stratégie : exiger d’énormes compromis au début des pourparlers pour ensuite fermer la porte à la négociation. Il n’y a pas encore eu de rencontre en face à face. Il n’y a eu que des échanges de documents et nous nous sommes contentés de regarder le conciliateur courir entre les deux salles de réunions. C’est tout à fait ridicule et ce n’est pas une façon constructive de traiter vos employés.
Mais il y a deux côtés positifs à toute cette situation. Premièrement, j’ai appris à connaître plusieurs personnes – des livreurs, des représentants aux ventes, des employés aux annonces classés et des imprimeurs – qui travaillent avec moi au journal. J’ai eu cette chance grâce aux longs moments passés sur le piquet de grève. Ce n’est pas évident pour un reporter de prendre conscience qu’il n’est pas seul à faire fonctionner un journal. J’ai aussi appris plein de choses au sujet du fonctionnement de mon propre journal. Deuxièmement, nous sommes tellement mieux organisés que la première fois. Nous avons lancé au moment de débrayer un site Internet rival au journal (http://www.freepressonstrike.com), une idée que nous avons empruntée aux employés en lockout du Journal de Québec et aux employés de CBC/Radio-Canada qui étaient sur le piquet de grève il y a 3 ans. Nous étions prêts à expédier des arbres de courriels, des bulletins d’information et des communiqués de presse. Nous avons appris aussi plein de choses pour la prochaine ronde, car si M. Stern continue ses attaques contre ses propres employés, nous nous reverrons encore sur le piquet de grève dans 3 ans.
Mary Agnes Welch est journaliste au Winnipeg Free Press est membre de la section locale 191 du SCEP. Elle est en grève depuis le lundi de l’Action de grâce. La Guilde canadienne des médias a fait un don de 2 000$ aux grévistes de ce quotidien.