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Les limites de l’expression

C’était en 1993. Le journaliste de CBC Dale Goldhawk était à la fois président syndical et à la barre d’une émission radiophonique qui acceptait des lignes ouvertes. Le journaliste avait été attaqué par un chroniqueur qui déplorait, alors qu’étaient discutées les questions relatives au libre-échange avec les États-Unis, qu’un président syndical puisse tenir les rênes d’une émission susceptible d’influencer l’opinion publique.

C’est que Dale Goldhawk s’était prononcé, de manière assez virulente, dans un article destiné à ses militants syndicaux. Dans la foulée de ce tourbillon, l’employeur a demandé au journaliste de choisir entre ses deux fonctions et Dale Goldhawk avait démissionné de la présidence.

La situation n’en est pas restée là et très bientôt, l’incident est devenu la «Goldhawk affair». La Guilde canadienne des médias a gagné sa cause à la Cour Suprême qui a tranché favorablement : l’employeur n’avait pas à demander à l’employé de choisir entre deux fonctions. Il a aussi été démontré que dans l’exercice de ses fonctions, le journaliste a toujours observé la neutralité et la rigueur qu’exigent ses responsabilités. La Cour a aussi laissé entendre que les représentants syndicaux jouissent, dans l’exercice de leurs fonctions, d’une liberté d’expression en tant que représentants syndicaux.

C’était il y bientôt 20 ans, mais l’actualité nous ramène cette cause de l’avant avec l’affaire « Kim-Jong 2 » impliquant la journaliste Mélissa François de LCN. Le 31 janvier, la direction de Groupe TVA a annoncé la suspension du président du Syndicat des employés de TVA, Réjean Beaudet. Le Groupe lui reproche ses récentes déclarations publiques dans le dossier de Mélissa François qui a dit « Kim-Jong 2 » et non « Kim-Jong Il », sur la chaîne LCN, au moment de la mort du dirigeant nord-coréen.

Selon TVA, « M. Beaudet a lancé nombre d’affirmations fausses et malhonnêtes au sujet du dossier en cause, en plus de laisser planer d’injustifiables allégations de racisme à l’égard de Groupe TVA, s’attaquant ainsi à la réputation irréprochable de l’entreprise en matière de relations avec les communautés culturelles du Québec ».

TVA estime que M. Beaudet « a clairement dépassé l’exercice normal d’activités syndicales et a fait fi de son devoir de loyauté à l’employeur ». La direction de Groupe TVA ajoute également que « les fonctions de président d’un syndicat ne confèrent pas à son titulaire le droit de dénigrer faussement son employeur sur la place publique ».

Dans un communiqué, le secrétaire général du SCFP, Denis Bolduc, s’est dit étonné par cette décision, lié à un événement qui, à l’origine, n’était au fond qu’un lapsus. En suspendant le président syndical, M. Bolduc estime que TVA s’attaque au message qui «en bon président de syndicat, se devait de défendre la réputation de Mme François sur la place publique».

Le tout pourrait se résumer à une querelle employeur-employé, mais voilà, selon le syndicat, un facteur aggravant vient se juxtaposer dans cette affaire.

«TVA prétend que M. Beaudet ne pourra pas exercer d’activités syndicales durant sa suspension. » Le SCFP entend bien dénoncer cette situation, considérée comme une pratique déloyale, au Conseil canadien des relations industrielles.

Reste à déterminer si Réjean Beaudet, à l’instar de Dale Goldhawk, a agi ou non dans le cadre de son droit d’expression lié à ses fonctions syndicales.

Histoire à suivre…
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Lise Millette est journaliste à La Presse Canadienne et membre de la Guilde canadienne des médias

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