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Lettre d’amour à la vie de pigiste

À Whitehorse où je vis, il y a une campagne antitabac affichée partout sur les autobus et dans les abris. Chaque affiche met en vedette une personne ordinaire. Chaque individu semble représenter une différente couche de la société, une différente communauté culturelle et un différent groupe d’âge. Ils ont tous l’air un peu penaud. Dans les annonces, ces gens arrêtent tous de fumer.

« Je t’aime, mais nous ne pouvons plus continuer de nous cacher de cette façon », dit le texte d’une affiche jaune vif.

« Je t’aime, mais je suis allergique à toi », affirme un autre message sur fond rose.

S’il faut croire cette campagne publicitaire, ces gens seront plus en santé et plus heureux lorsqu’ils auront cessé de fumer. Ce message, selon mon expérience, me semble véridique, mais pas parce que j’ai récemment arrêté de fumer. En fait, je n’ai jamais fumé. Mais j’ai abandonné l’an dernier une autre substance qui cause la dépendance : un emploi permanent et syndiqué.

Une fois devenu accro, c’est difficile de ne pas avoir un boulot permanent tout le temps. On y pense quand on n’est pas au travail. Quand on n’a pas d’emploi permanent, on voudrait l’avoir et on se sent nerveux. Ça ressemble au tabac, n’est-ce-pas?

Mon emploi permanent comportait des éléments fantastiques, y compris la représentation syndicale et un revenu régulier. Mais malgré le fait d’avoir perdu mon salaire de la SRC/CBC, j’ai trouvé que mon envie d’un boulot permanent a diminué au bout d’un certain temps.

Cela étant dit, la pige est facile à cause des aptitudes que j’ai développées au cours de mes années passées à la CBC à Toronto. J’ai travaillé à des émissions qui m’ont donné une mine d’expérience, ce qui a rendu la transition plus facile. Tourner le dos à la stabilité que m’offrait mon poste n’a pas été de tout repos. Mais mon hésitation à passer à autre chose me ralentissait, tout comme un paquet de cigarettes par jour ralenti un coureur.

Gagner ma vie en tant que réalisatrice pigiste me permet de penser sans ornières lorsque je conçois le thème d’un article. Comme je ne travaille pas simplement à une émission ou à une publication, je peux donc laisser vagabonder mes pensées. Je peux m’amuser en choisissant les sujets qui m’intéressent le plus et, ensuite, trouver l’endroit où les publier ou les diffuser.

Jusqu’à présent, travailler en tant que réalisatrice pigiste me fait également entrer de façon régulière sur le marché du travail. Tous ceux que je connais qui ont choisi cette vie partagent leur temps entre leurs propres projets et des contrats quotidiens très payants dans des universités, ou comme expert-conseil ou organisateur syndical. Pour ma part, je travaille en ce moment à contrat pour le gouvernement fédéral, tout en continuant de soumettre des propositions partout dans le monde et à animer une émission en baladodiffusion, qui s’appelle Rabble radio.

Rabble est mon projet le moins payant et le plus satisfaisant. Je peux créer de la programmation dans un contexte sans limites et dans un médium qui, pour l’instant du moins, accorde la priorité au contenu plutôt qu’à la forme. Bonne entrevue, mais mauvais microphone? On peut toutefois l’inclure dans l’émission en baladodiffusion. Langage vulgaire? Aucun problème. Le hip hop ? Nous ne traquons pas notre auditoire, et nous n’avons donc pas à nous censurer. La qualité de l’audio soumise par notre groupe de bénévoles n’est pas au niveau de ce qu’on pourrait produire dans un studio de la CBC; l’émotion et le contenu font toutefois plaisir à notre auditoire qui ne cesse d’augmenter.

Rabble représente probablement le meilleur exemple du plaisir d’effectuer une réalisation indépendante : nous établissons nos propres normes.

Mais en dépit des avantages gagnés, j’en ai aussi perdu. En tant que pigiste, je n’ai pas d’avantages sociaux, et personne ne m’appuiera si on ne me paye pas suffisamment, ou si on ne me paye pas du tout. Malheureusement, les grandes organisations ne sont pas nécessairement plus fiables que les petites lorsque vient le temps de rémunérer les pigistes pour les services rendus. La protection d’un syndicat dans ce domaine serait la bienvenue.

J’adore la pige, mais je dois admettre que l’envie de me trouver un poste permanent me traverse toujours l’esprit. Pour l’instant, les avantages de la pige l’emportent sur les risques. Je continue donc de lutter contre cette tentation de me joindre à un employeur qui aurait un poste permanent pour moi. Je compte jusqu’à cinq avant de postuler un emploi; je mâche de la gomme; je tourne le sablier pour voir si l’envie va me passer lorsque le sable sera complètement écoulé.

Je ressemble beaucoup à cette femme d’une trentaine d’années affichée sur les autobus. Celle qui porte le T-shirt bleu et qui dit : « Je t’aime, mais je suis plus libre sans toi. »

Meagan Perry est réalisatrice pigiste à Whitehorse et ancienne membre de la Guilde canadienne des médias.

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