Par un membre de la Guilde
Récits de Canadiens Noirs ordinaires avec sisterhood media
L’entreprise médiatique sisterhood media s’est donné pour mission de créer et de diffuser des productions faites pour des personnes marginalisées, de sorte que ces productions soient les plus accessibles possibles. L’entreprise produit des films originaux et elle a récemment organisé une série d’événements dans des villes de l’Ontario pour engager le dialogue avec les gens de la province, accroître les possibilités et poser la question « Et si les médias reflétaient notre réalité ? ».
L’entreprise a fait du chemin : elle offre désormais un service de diffusion en continu de films, séries et courts métrages acquis dans le cadre d’accords exclusifs ou non – tous produits par un groupe de cinéastes émergents de la région du Grand Toronto et d’ailleurs, dont les contributions et les reportages accroissent la conscientisation des Canadiens tout en enrichissant notre imaginaire collectif. En se taillant une place dans le paysage des médias numériques, sisterhood media nous invite, au travers de ses reportages, à réimaginer le visage du Canada. La plupart des cinéastes sont d’ailleurs parvenus à ce résultat alors qu’avant sisterhood media, ils ne bénéficiaient que d’un accès limité, voire inexistant, aux grands groupes de diffusion.
Ce mois-ci, les productions de la plateforme de diffusion en continu sont axées sur « les débuts de l’histoire des Noirs et une réflexion approfondie sur notre avenir en tant que Noirs… quelque chose que nous créons et écrivons au quotidien, et que nous réinventons sans cesse », explique Samah Ali, créatrice du service de diffusion en continu.
L’entreprise médiatique s’efforce également de diffuser des productions qui présentent le fait d’être Noir(e) dans sa multiplicité. Pour Samah Ali, le paysage cinématographique et médiatique canadien idéal refléterait exactement cela : la multiplicité des gens qu’elle côtoie dans la rue : « des gens dans des corps différents, qui portent des vêtements différents, qui vivent leur vie : la vie ordinaire… ».
Selon elle, les médias doivent refléter « la multiplicité des gens : avant de passer à la moulinette des différents marqueurs sociaux qui existent dans la société, nous sommes avant tout des individus singuliers ».
« Pas un film sur l’identité avec un grand « I », ni sur la critique de la grossophobie avec un grand « G » ou encore sur l’éloge de la diversité avec un grand « D ». Parfois, c’est simplement des minuscules parce que, bon, je vis au quotidien dans mon corps, et ce n’est jamais en majuscules : identité noire en majuscules, identité féminine en majuscules… En fait, c’est juste un film sur moi. »
Pour Samah Ali, le succès remporté par sisterhood media s’explique par le fait que l’entreprise s’adresse à des créneaux particuliers, ce que les organismes médiatiques et les diffuseurs de cinéma ne sont pas parvenus à faire.
« Les organismes de jeunes tels que sisterhood media, ainsi que de nombreux festivals de cinéma qui se concentrent sur des créneaux spécifiques, sont capables de s’adapter; ils acceptent d’être transformés de l’extérieur; dès le départ, ils intègrent les gens [à leur mode de fonctionnement]. Il est certain que l’industrie des médias traditionnels connaît des difficultés, mais les organismes comme le nôtre ne cherchent pas à tirer parti d’un moment ni d’un mouvement particulier. C’est notre seul objectif, notre seule mission. On sait bien que sans les communautés avec lesquelles on œuvre depuis le début, on ne pourrait pas exister. J’estime donc que c’est en cela que nous nous distinguons de beaucoup d’organismes traditionnels. »
Pourquoi les médias traditionnels peinent à faire connaître de nouveaux points de vue…
« À mon avis, les gens qui pourraient être présents dans ces lieux, qui pourraient aider à faire connaître les films, n’y sont pas parce que bien souvent ils sont désabusés, parce qu’ils se sont rendu compte qu’ils n’y ont pas leur place et qu’ils seront confrontés à coup sûr à des micro-agressions. À côté de ça, on a un certain nombre d’organismes, dans diverses villes de l’ensemble du Canada, qui s’appuient sur leur communauté pour se développer. Nous n’avons peut-être pas encore accès aux grands réseaux de diffusion de cinéma traditionnels, mais ça viendra. »
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28 moments de l’histoire des Noirs canadiens, avec Anne Moreau
À Ottawa, Anne Moreau, 24 ans, s’efforce de mobiliser des ressources pour faire des reportages axés sur les Noirs. Sa première incursion dans la production médiatique date des élections fédérales de l’an dernier, durant lesquelles elle a rédigé et publié un guide de 34 pages, Black Girls Book: Voters Edition, pour informer les Noires sur la façon dont le programme de chaque parti tenait compte de leur situation et répondait à leurs préoccupations particulières.
Tout récemment, Anne Moreau a passé des semaines à produire 28 Moments of Black Canadian History, une série de vidéos-témoignages sur la vie des Noirs au Canada, qui présente de jeunes Noirs d’Ottawa, de leur vie scolaire, de leur milieu de travail et de leurs relations personnelles, ainsi que de la façon dont les Noirs ont fait face au racisme à différentes époques.
Chaque témoignage, de trois à neuf minutes, se termine par la présentation d’une personnalité ou d’un moment marquant de l’histoire des Noirs du Canada. Il a été prévu de diffuser une vidéo par jour tout au long du mois de février.
« Je suis en train de désapprendre les choses qui étaient super problématiques [dans l’enseignement traditionnel de l’histoire canadienne], qui ont été dangereusement simplifiées, explique Anne Moreau dans sa propre vidéo-témoignage, diffusée le 12 février, et j’essaie de les remplacer par la vérité. »
« Il y a des tas de choses qu’on ne connaît pas. Il y a beaucoup de faits que nous devrions connaître, mais qui ne sont pas présentés de manière assimilable. Si j’ai eu cette idée et décidé de lui donner suite, c’est en partie parce qu’au départ j’avais l’impression que l’histoire des Noirs canadiens n’avait pas vraiment été racontée – et ça, ça change vraiment la façon dont on se meut dans ce pays, le sentiment d’enracinement et d’attachement au pays. Pour trouver ce qui nous lie à ce pays et établir une connexion, mon équipe et moi avons pensé que trouver ces récits et les faire connaître nous aiderait à avoir un meilleur ancrage dans ce pays. »
Anne Moreau, dont l’expérience des médias provient exclusivement de ses propres initiatives, se dit déçue par l’état actuel du paysage médiatique.
« Présentement, ce que je ressens à propos des médias… Je suis plutôt déçue, surtout par Ottawa, et surtout durant le Mois de l’histoire des Noirs. Le fait que ce projet n’ait pas suscité un grand intérêt et que beaucoup de projets menés par des membres de ma communauté soient dans la même situation est décevant. Nous consacrons beaucoup de temps et d’argent à ces projets, et on ne nous donne pas de tribune pour présenter le fruit de nos efforts. C’est un exemple qui illustre bien tout le travail qui reste encore à faire, et c’est pourquoi beaucoup d’entre nous prennent les choses en main pour essayer de diffuser ces informations eux-mêmes. »
En ce qui concerne l’avenir, Anne Moreau est d’avis que l’augmentation du nombre des projets de la communauté locale permettra d’élargir le champ de ce qui est relaté par les médias.
« Je crois que la solution consiste à se charger nous-mêmes [de projets comme ceux-ci] et à recevoir les fonds nécessaires pour pouvoir le faire convenablement. Pour ce projet, nous avons pratiquement travaillé sans moyens, mais je suis sûre que si nous avions eu l’argent et le soutien d’organismes, de personnes convaincues de la valeur du projet et de son importance, notre portée serait considérable. »
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