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Parlons de Radio-Canada/CBC

Par Jo-Ann Roberts

Rien de tel que le hockey pour attirer l’attention des Canadiens !

Alors, à présent que nous savons que Radio-Canada/CBC a perdu les droits de diffusion des matchs de la Ligue nationale, parlons un peu.

On pourrait commencer par s’adresser au comité permanent qui se penche sur Radio-Canada. Ce comité, présidé par le sénateur libéral Dennis Dawson, a commencé à tenir des audiences publiques. Selon Postmedia News, les sénateurs sont en train d’étudier « le rôle de Radio-Canada dans la société canadienne en examinant l’usage que la Société a fait des milliards de dollars de subventions publiques qu’elle a reçus au cours des années ». Le choix du mot « subventions » est intéressant. D’aucuns diraient que c’est ce qu’il en coûte d’avoir un radiodiffuseur public – sans compter que ce coût est le plus bas parmi les principaux pays occidentaux (31 $ par habitant comparativement à une médiane de 80 $ dans les autres pays de l’OCDE).

Mr Dawson a déclaré que le comité s’adresserait aux téléspectateurs et aux parties prenantes de l’ensemble du pays pour recueillir leur opinion relativement à la qualité des services offerts par le radiodiffuseur public. Il a ajouté que les sénateurs recueilleraient aussi l’opinion de la direction de Radio-Canada, ainsi que celle de ses concurrents du secteur privé.

Le sénateur Dennis Dawson n’est sans doute pas sans savoir qu’en tant que citoyens du Canada et contribuables, nous sommes tous actionnaires de Radio-Canada et qu’à ce titre, nous devrions tous avoir notre mot à dire. J’espère aussi que le comité de Mr Dawson est désireux de connaître l’opinion des employés non cadres de Radio-Canada, qui constituent la majorité des effectifs de la Société et qui sont bien placés pour connaître les répercussions des récentes compressions budgétaires « sur le terrain ».


La valeur de quelque chose[i] : 83 % des Canadiens estiment que le radiodiffuseur public joue un rôle important dans la protection de l’identité et de la culture canadiennes

Je travaille à Radio-Canada depuis 1978. J’ai été reporter à la radio et à la télévision, et cela fait vingt ans que j’anime des radios locales, une fonction que j’ai commencé à exercer sur la côte Est et que j’exerce maintenant sur la côte Ouest. Je tiens à préciser que cet article a été rédigé en dehors de mes heures de travail, en ma qualité de représentante syndicale locale. Je sais que certains d’entre nous redoutent d’être vus comme gaspillant l’argent des contribuables (après tout, la redevance couvre 60 % de mon salaire) pour défendre Radio-Canada ou faire valoir ce que nous faisons. Il y a des gens qui sont prêts à saisir le moindre prétexte pour faire accroire que nous dilapidons les deniers publics. Mais j’estime qu’il est temps que ceux d’entre nous qui sont passionnés par ce qu’ils font et qui croient fermement au rôle vital de la radiodiffusion publique dans la démocratie fassent entendre leur voix.

C’est ce qui m’est apparu très clairement l’an passé, quand j’ai commencé à donner un cours sur la radiodiffusion publique à l’Université de Victoria. J’avais reçu une bourse de recherche Harvey Southam en journalisme, qui m’avait permis d’élaborer le programme d’études et de recherches et de préparer une conférence publique sur le thème de la radiodiffusion publique au Canada. J’avais 60 étudiants fascinants et j’ai beaucoup appris.

Je peux dire qu’au début du cours, la plupart des étudiants ne savaient pas grand-chose sur Radio-Canada. Mais ce que j’ai trouvé encourageant, c’est qu’en explorant la notion de radiodiffusion publique, en parlant de l’influence que Radio-Canada avait eu sur leurs vies et en s’interrogeant sur son rôle futur dans leurs vies, ils sont devenus apôtres du radiodiffuseur public canadien et ont fait d’intéressantes suggestions sur la façon de l’améliorer.

Je n’ai pas été choquée du fait qu’ils avouaient ne pas savoir grand chose sur la Société Radio-Canada, car moi non plus, je n’étais pas mieux renseignée à leur âge; mais tout comme eux, je savais qu’elle était importante pour la société et pour mon pays.

Quand j’avais besoin de la Société Radio-Canada, elle était là. Elle était là avec des émissions de qualité pour la jeunesse, elle était là aussi pour me faire découvrir les nouveautés de la musique et des arts au Canada, ainsi que ses associations culturelles. Quand j’ai quitté mon coin de pays pour un autre, elle était là pour m’informer sur ce qui se passait là dans la région d’où je venais et pour m’aider à me familiariser avec ma nouvelle région. Je pouvais compter sur Radio-Canada pour m’aider à m’insérer. Ma mère, résidente de Halifax, pouvait écouter la même conversation que moi, qui résidais à Winnipeg. Tels sont les attributs d’un radiodiffuseur national qu’on manque souvent d’apprécier à leur juste valeur tant qu’on n’en a pas besoin.

Ce qui m’inquiète maintenant, c’est que les Canadiens ont commencé à oublier la valeur de Radio-Canada. J’ai l’impression que, comme mes étudiants, beaucoup de Canadiens ne réalisent pas ce qui fait la singularité d’un radiodiffuseur public. Il savent qu’il est utile, puisque 83 % des Canadiens estiment que la Société Radio-Canada est importante pour protéger l’identité et la culture canadiennes et que 81 % estiment que Radio-Canada est l’une des choses qui permettent de distinguer le Canada des États-Unis (sondage Pollara, 2009). Mais malheureusement, il en va de Radio-Canada comme de beaucoup de choses : on n’attache de prix qu’à ce qu’on a perdu, alors qu’il est trop tard.


Traiter des réalités canadiennes sans ingérence politique, dans l’intérêt national

J’espère que le Comité sénatorial examinera le rôle d’un radiodiffuseur public dans notre société.

J’avoue être alarmée par les propos du sénateur conservateur Leo Housakos, vice-président du Comité sénatorial des transports et des communications, lorsqu’il affirme que « C’est sans idée préconçue que nous nous lançons dans cette entreprise, qui vise à scruter attentivement les capacités de la Société Radio-Canada dans un monde en mutation : ce qu’il est et ce qu’il devrait être afin que la Société demeure concurrentielle et puisse être le fer de lance de la diffusion culturelle – ce qui est le mandat de Radio-Canada depuis des décennies – pour le bénéfice des Canadiens ».

Je trouve l’adjectif « concurrentiel » inquiétant. Avec qui la Société Radio-Canada est-elle en concurrence? Les principes de la radiodiffusion publique sont l’universalité, la diversité, l’indépendance et la spécificité. Ces principes ne sont pas ceux des radiodiffuseurs privés, motivés par la recherche du profit. Si le Comité se propose d’examiner si l’emploi des fonds attribués à Radio-Canada garant l’application de ces principes et s’il cherche à déterminer ce qui serait nécessaire pour leur application future, je crois qu’il s’agira d’un exercice très profitable.

Certains diront qu’en raison des nouvelles technologies, nombre des raisons pour lesquelles on avait besoin d’un radiodiffuseur national public ne sont plus valables. Or, à mon sens, ce sont précisément ces technologies, ainsi que ceux qui les contrôlent, qui rendent ce débat plus important que jamais.

Petit retour en arrière : lorsque l’idée d’un radiodiffuseur public a été envisagée pour la première fois, c’était en raison d’une nouvelle technologie, la radio. En 1924, le magazine Maclean (qui appartient à présent à Rogers Media) titrait « La radio pourrait changer nos vies ». On s’inquiétait alors que les signaux radio des États-Unis puissent être captés au Canada, avec la possibilité que les Américains finissent par contrôler ce qu’écoutaient les Canadiens.

La Commission canadienne de la radiodiffusion (CCR), l’ancêtre de Radio-Canada, fut créée afin qu’il y ait un radiodiffuseur mandaté pour traiter des réalités canadiennes sans ingérence politique, dans l’intérêt national.

Au cours des années, des modifications ont été apportés à la Loi sur la radiodiffusion pour refléter les avancées technologiques et les besoins du pays. La Société Radio-Canada a toujours été à l’avant-garde du changement et elle continue de remplir son rôle de radiodiffuseur public. Elle continue aussi de jouer un rôle dans la protection de l’équilibre entre le monde de la finance, le monde du pouvoir et le public.

Pierre Juneau, tour à tour président de Radio-Canada, premier président du CRTC et président du Conseil mondial de la radiotélévision (CMRTV, soutenu par l’UNESCO), écrivait en 2000 qu’un modèle de service public pour la radiodiffusion publique était fondé sur la méfiance :

– méfiance à l’égard de la capacité des mécanismes du marché à atteindre certains objectifs;
– méfiance à l’égard de la capacité de l’État à réaliser ces objectifs – soit informer, éduquer et divertir.

La radiodiffusion publique a donc besoin d’un organisme public au service des citoyens, de la culture et de la démocratie. C’est cela qui constitue l’essence de la radiodiffusion publique.

J’estime qu’en raison des nouvelles technologies ainsi que de la concentration de la propriété des médias, nous avons plus que jamais besoin de cette forme de radiodiffusion publique au Canada.

Le Canada se retrouve avec une poignée de grandes entreprises – sociétés de câblodistribution et de téléphonie – qui ne se contentent pas de créer, mais qui possèdent aussi les plateformes de distribution de ces créations. La liste ci-dessous indique le degré de concentration des médias dans les pays du G8 [source : Analysis Group, Boston] :

8. Russie – 0 %
7. Allemagne – 7,1 %
6. États-Unis – 23,1 %
5. France – 27 %
4.Royaume-Uni – 31 %
3. Italie – 33 %
2. Japon – 37,5 %
1. Canada – 81,4 %

L’acquisition récente des droits de diffusion des matchs de la LNH par Rogers Media illustre parfaitement cette situation. À présent Rogers est propriétaire du volet créatif (les matchs de hockey) ainsi que des réseaux de distribution de ce contenu : les téléphones Rogers et Sportsnet. L’objectif de l’entreprise est de gagner suffisamment d’argent pour que la transaction soit profitable. Elle n’a aucune obligation de satisfaire les besoins du public ou de la société.


Le prix de tant de choses : 82 stations de radio, 27 stations de télévision, une diffusion en ligne et à l’étranger – en anglais, en français et en huit langues autochtones

Le Canada possède une société de radiodiffusion publique respectée des diffuseurs du monde entier. Et Radio-Canada a accompli cela avec des fonds bien moindres que ceux des autres diffuseurs publics. Dans une étude portant sur 18 grands pays occidentaux dotés de radiodiffuseurs publics, le Canada se classait 16e en termes de soutien gouvernemental (Nordicity, avril 2011). En 2011, à raison de 34 $ par habitant, le financement de Radio-Canada était inférieur de 60 % à la moyenne de 87 $, et ce montant est depuis tombé à 31 $ environ, par personne et par an.

Les gouvernements successifs ont sabré dans le budget de Radio-Canada. La façon dont les fonds sont dépensés ne sont un secret pour personne : les états financiers vérifiés sont publiés sur le site Web de Radio-Canada. Il faut cependant savoir qu’avec les récentes compressions, le financement fédéral de Radio-Canada n’a jamais été aussi bas depuis 1999.

Il importe donc de savoir ce qu’offre la Société Radio-Canada pour les fonds qu’elle reçoit. Pour moins de 10 cents par jour et par habitant, Radio-Canada/CBC exploite 82 stations de radio et 27 stations de télévision dans l’ensemble du pays. La Société diffuse ses productions sur de multiples plateformes, dans les deux langues officielles. Elle dessert l’ensemble du pays et diffuse dans 8 langues autochtones. Radio-Canada/CBC News possède également 14 bureaux à l’étranger, offrant la couverture médiatique la plus large et la plus approfondie de tous les organes de presse canadiens (juin 2011). Aucun autre diffuseur ne pourrait offrir de concurrencer Radio-Canada en fournissant tous ces services, car cela ne serait pas rentable.

En outre, Radio-Canada fournit un service national et l’argent investi dans la Société est réinjecté dans l’économie canadienne. Une étude de Deloitte & Touche évaluant le coût des compressions à Radio-Canada pour l’économie canadienne a montré qu’en amputant de 115 millions de dollars le budget de Radio-Canada, on privait l’économie canadienne de près de 400 millions de dollars [source : Guilde canadienne des médias]. Autrement dit, pour chaque dollar investi, il y a près de 4 dollars de retombées économiques.

J’invite tous ceux qui sont attachés à une radiodiffusion de qualité au Canada à prendre le temps de faire connaître leurs vues au Comité sénatorial. L’anglais Anthony Smith écrivait que la BBC était si importante qu’elle avait probablement été « le plus formidable instrument de la social-démocratie du siècle* ». Je suis convaincue qu’on pourrait dire la même chose de Radio-Canada dans notre pays. Et j’espère que c’est un instrument qui sera toujours fonctionnel pour la prochaine génération.

*Anthony Smith, cité par Graham Murdock et Peter Golding dans « Common Markets: Corporate Ambitions and Communication Trends in the UK and Europe ». The Journal of Media Economics, vol. 12, no 2, 1999, p. 122.

Membre de la GCM, Jo-Ann Roberts anime l’émission All Points West sur CBC Radio One, à Victoria (C.-B.)


[i] Ce titre, et le titre qui suit « le prix de tant de choses » sont une allusion à une remarque d’Oscar Wilde au sujet de ses contemporains, qui connaissaient le prix de tout et la valeur de rien.

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