Par Lise Lareau
Présidente nationale de la GCM
Comment une organisation vient-elle à bout d’un lock-out de huit semaines quand son PDG refuse de reconnaître que cette décision était une erreur ? Quand les raisons qu’il donne pour le lock-out sont tout simplement sans bon sens ? Plus important, comment développer des relations plus positives entre le syndicat et la direction quand le président dit qu’il aurait besoin de plus de ce qu’il n’a pas pu obtenir par le biais du lock-out ? Ce sont certaines des questions importantes qui ont été soulevées par le président de la SRC/CBC, Robert Rabinovitch, le 17 octobre dernier lors de son entrevue à l’émission The Current à la radio de CBC.
Rabinovitch a suggéré qu’il ne lui restait aucun choix sauf celui de décréter le lock-out. « Nous avions une annonce très claire d’un mandat de grève de 87% et des publicités dans le journal déclarant que le syndicat allait faire une grève sur ces questions », a-t-il dit à Anna Maria Tremonti. Selon Rabinovitch, c’était donc question de timing : ou bien laisser le syndicat choisir le moment, ou bien contrecarrer sa stratégie par le biais d’un lock-out préventif.
Son affirmation est des plus trompeuse parce que c’est la direction elle-même qui a orchestré le moment choisi. Elle a créé la date butoir du 15 août en déposant une demande de conciliation au mois de mai dernier. À cause de cela, le syndicat devait tenir un vote de grève. Mais il est de plus en plus évident que le mandat de grève n’avait pas d’importance; la direction discutait d’un lock-out déjà au mois de juin à la réunion du conseil d’administration de la Société, sinon avant. Il est donc trompeur et sans fondement de rejeter la responsabilité sur le mandat de grève.
Ce qui était encore plus troublant était la réponse de Rabinovitch à savoir s’il ferait la même chose de nouveau. « Sachant ce que je sais maintenant, rien ne change », a-t-il répondu. Nous faisions encore face à une situation où les négociations n’avançaient pas. »
En fait, les pourparlers n’avançaient pas parce que la Guilde a refusé de capituler devant la revendication patronale d’une concession importante. La direction de la SRC/CBC revendiquait un nombre infini d’employés à contrat dans beaucoup de classifications de travail. Elle continuait de revendiquer cette concession après le début du lock-out et, malgré un léger mouvement, jusqu’à la dernière fin de semaine du conflit.
Il est triste de constater que la convention collective négociée après sept semaines de lock-out aurait pu être négociée alors que les membres de la GCM étaient toujours au travail. Il y a dix-huit mois, la proposition d’un plafond de 9,5% d’employés à contrat aurait représenté la base d’un accord sans conflit de travail. C’est un problème majeur si Rabinovitch ne se rend pas compte du gâchis et de la perte causés par le lock-out.
Au lieu d’avancer et de présenter au public canadien sa vision d’une SRC/CBC renouvelée, il décrit de nouveau une société gonflée, qui « n’est pas aussi flexible que je voudrait qu’elle le soit. » Or, nous savons que ce n’est pas vrai. Les employés de la SRC/CBC, flexibles à l’excès, se sont adaptés à plus de types de travail, de technologies et de médias que tout autre membre de l’industrie.
Et Rabinovitch a aussi lancé une pointe subtile aux syndicats en général. Au sujet de ses antécédents à la Société, y compris une grève et trois lock-outs, Rabinovitch a dit : « Cette organisation est syndiquée à 90%. La BBC l’est à 44%. » Il faut se questionner au sujet de la pertinence de ses propos, d’autant plus que le constat est trompeur. Selon le National Union of Journalists, environ 80% de la partie journalistique de la BBC est syndiqué et la plupart des techniciens le sont aussi. Certains des services de la BBC ne sont pas syndiqués (par exemple le service des finances et l’administration) mais ceux-ci n’ont pas rapport lorsque Rabinovitch discute de la flexibilité nécessaire pour créer des émissions. Donc pourquoi présenter ces données ?
Il faut également mettre en doute le jugement de Rabinovitch au sujet d’autres commentaires, par exemple : « J’étais fier de la qualité des émissions que nous avons pu diffuser (pendant le lock-out). » La fausse information ne répare pas les dommages engendrés par un lock-out.
En dernier lieu, le lock-out aurait pu être évité. Il s’agissait d’une stratégie d’une équipe de hauts dirigeants qui avaient un objectif qui ne répondait pas nécessairement aux besoins ni de la SRC/CBC, ni des gens qui génèrent la programmation. Et ces hauts dirigeants étaient prêts à risquer l’existence d’une institution canadienne afin de réussir. Au fond, la « flexibilité » se résume au pouvoir décisionnel que possède la direction au sujet de savoir qui travaillent dans quels postes, ainsi que d’avoir une main mise sur le contrôle de ce pouvoir décisionnel. Bref, c’est une question de contrôle. Et il faut remarquer que c’était la quête du contrôle du processus de négociation, et le refus de travailler à l’intérieur de celui-ci, qui a mené à la défaite de Rabinovitch en ce qui a trait à ce lock-out.