Par Duncan McCue
Lors du premier cours que je donne sur le reportage dans les communautés autochtones, à l’École de journalisme de l’Université de Colombie-Britannique, je distribue à mes étudiants un questionnaire à trous sur les compétences culturelles. L’une des questions : « Quand j’interviewe un-e Autochtone, je me sens ______ ».
Les réponses ?
« nerveuse/nerveux », « ignorante/ignorant », « mal préparée/préparé », « mal informée/informé ».
Qu’un reporter se sente intimidé à l’idée de passer un coup de téléphone, voilà qui augure assez mal de la qualité du reportage !
Et pourtant, partout au Canada, les services de presse envoient régulièrement des journalistes dans des communautés autochtones, et ils s’attendent à ce que ces journalistes se mettent immédiatement à pied d’œuvre, comme pour tout autre reportage.
Le hic : pour de nombreux reporters, faire un reportage en territoire indien, c’est un peu comme être envoyé à l’étranger.
J’ai parlé avec des journalistes d’expérience qui, pleinement conscients des défis – et, parfois, de la méfiance – qu’ils auront à affronter, abordent à contrecœur les reportages sur les Autochtones.
Il n’y a donc pas lieu de s’étonner que les Autochtones soient sous-représentés dans les nouvelles. En 2011, CBC News a comptabilisé le nombre d’Autochtones qui avaient été interviewés dans les bulletins d’information à la télévision. Résultat : 3 % – ce qui laisse un peu à désirer puisque les Autochtones constituent plus de 4 % de la population du Canada.
Les résultats des autres chaînes étaient encore moins brillants, puisqu’ils étaient inférieurs à 1 %. Les chiffres concernant les temps d’antenne étaient encore plus mauvais : les clips sonores étaient plus courts pour les Autochtones et leur présence en ondes était moins longue.
Or, l’indigence de la couverture médiatique ne serait pas aussi exaspérante si les remèdes n’étaient pas aussi évidents.
Il nous faut davantage de journalistes autochtones. Selon la même étude, environ 2 % des reporters qui étaient passés à CBC-TV étaient des Autochtones. Et sur les autres chaînes, leur présence était passée pratiquement inaperçue (remarque : l’APTN n’était pas inclue).
Pourquoi cela ? C’est trop facile de dire que nos salles de presse ne reçoivent pas assez de candidatures d’Autochtones qualifiés. Qu’entend-on par « qualifiés » ? Nous attribuons bien des primes aux cadres supérieurs en fonction des cotes d’écoute – alors, pourquoi ne pas leur attribuer des primes en fonction de la diversité des candidats recrutés ?
Cela dit, même si nous réalisons l’équité d’emploi dans nos salles de presse, la majorité des journalistes assurant la couverture des territoires indiens continueront d’être non-autochtones.
Il est donc essentiel d’offrir aux journalistes une formation en compétences culturelles afin de combler les nombreuses lacunes de l’enseignement dispensé à l’école secondaire.
Tous les journalistes devraient suivre un cours intensif sur la Loi sur les Indiens, sur les pensionnats indiens et sur l’article 35 de la Loi constitutionnelle. Et les reporters ont également besoin de se familiariser avec le rôle des anciens et la notion de « temps indien ».
Au Canada, de nombreux corps de police offrent une formation à la diversité sous une forme ou sous une autre. J’ai vu de nouvelles recrues apprendre ce que représentent les kirpans, ce qui leur évitera de se sentir menacés s’ils ont affaire à un Sikh; j’en ai vu qui parlaient du rôle qu’avait joué la police dans l’enlèvement des enfants des communautés autochtones, une situation qui pourra expliquer le regard méfiant d’un Indien n’ayant pourtant rien à se reprocher.
La formation à la diversité est nécessaire, puisqu’un malentendu culturel pourrait se solder par mort d’homme, due à une gâchette trop rapide.
Mais quelle impression cela fait-il d’être constamment bombardé par les grands titres et les reportages qui dépeignent son peuple comme dépravé, miséreux et violent ? Les Autochtones sont las des reportages sur les calamités affectant leurs communautés – et qui songerait à le leur reprocher ? Quelles sont les répercussions de ce flot incessant de mauvaises nouvelles sur l’estime de soi des jeunes Autochtones ?
Nous savons que le public autochtone souhaite un changement. Lorsque CBC a pris l’initiative novatrice de réaliser un sondage auprès des membres de ce public en 2011, la plupart ont exprimé l’avis que leur culture n’était reflétée ni à la radio ni à la télévision et neuf sur dix ont répondu qu’ils aimeraient qu’on représente les Autochtones sous un jour un peu plus positif.
Bien entendu, le 21 juin, vous verrez des tas de « bons Indiens » dans les médias, les agents des affectations s’affairant à couvrir les festivités de la journée des Autochtones. Et c’est très bien comme ça. Je profite souvent, pour ma part, de la Journée nationale des Autochtones pour proposer des reportages qu’il est difficile de caser durant le reste de l’année.
Mais nous pouvons mieux faire que du journalisme à date fixe.
Nous avons besoin de journalistes qui soient à l’écoute des communautés autochtones et qui se renseignent sur ce qui compte pour les Autochtones, en tissant des liens étroits avec eux. Et nous avons besoin de journalistes qui, faisant leur métier dans le respect des communautés autochtones, soient à même de faire des reportages flatteurs ou non, et ce, sans craindre de se faire traiter de racistes.
Mais surtout, si des journalistes ont à compléter la phrase – Quand j’interviewe un-e Autochtone, je me sens ______ », j’aimerais qu’ils mettent :
« pleine/plein d’enthousiasme », « remplie/rempli de curiosité », « prête/prêt ».
Voilà le secret d’un excellent reportage.
Duncan McCue est reporter. Il vit à Vancouver, où il travaille pour l’émission The National de CBC Television. Vous pouvez consulter son guide à l’intention des reporters qui couvrent l es communautés autochtones à www.riic.ca et le travail de ses étudiants de l’Université de Colombie-Britannique à www.indigenousreporting.com.