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Seule à l’Assemblée !

kt-fullsizerenderPar la blogueuse invitée Kim Trynacity

En Alberta je dois dire qu’en dehors des périodes de session parlementaire peu de journalistes traînent dans les corridors. Mais quelle que soit la période de l’année, au cours des seize années pendant lesquelles j’ai couvert la politique, il y a toujours eu un important noyau de journalistes dans les parages pour discuter des événements, s’échanger des récits et plus important encore, enquêter sur les questions plus sérieuses pour tenir le gouvernement responsable.

Mais maintenant, plus tellement.

Je me sens plutôt seule à l’Assemblée.

La réalité ne pouvait pas avoir été plus dure à la mi-septembre, quand je me suis retrouvée comme la seule journaliste à l’extérieur du bureau de la première ministre de l’Alberta Rachel Notley, lorsque le tant attendu, très attendu portrait de la déshonorée première ministre Alison Redford a été suspendue dans un silence furtif. Cette convenance n’a pas été annoncée à l’avance, comme cela était le cas dans le passé. Cette fois-ci, il n’y avait pas de cérémonie élaborée avec des discours et des gâteaux.

Je tentais tout simplement de croiser un ministre ou deux lors d’une réunion du Conseil du Trésor et c’est par hasard que j’ai saisi ce moment historique.

Autrement dit, il y a quelques années, il y aurait eu plusieurs journalistes, quelques caméras de télévision, des photographes et des stations de radio présentes pour couvrir le cabinet, si bien qu’avec un noyau de journalistes itinérants autour de la législature, il aurait été presque impossible d’accrocher subrepticement le portrait de la première ministre déshonorée sans que personne ne le remarque.

J’ai filmé une vidéo de l’accrochage du portrait sur mon iPhone, diffusé des photos sur Twitter, et j’ai écrit un article pour notre site Web. D’autres médias ont éventuellement couvert l’événement.

C’était un bon exemple du message clé que je venais de livrer lors d’une table ronde du Forum des politiques publiques du Canada (FPP) à l’Université de Regina sur la démocratie, les nouvelles et les politiques publiques au Canada.

On a confié au FPP le mandat de revoir les politiques du gouvernement fédéral liées aux médias d’information dans le cadre de l’examen des politiques culturelles du Canada entamé par la ministre fédérale du patrimoine Mélanie Joly.

L’examen étendu comprend des enjeux allant de l’ouverture de la Loi sur la radiodiffusion et la révision du mandat et du rôle de CBC/Radio-Canada, jusqu’à la question de savoir si ou comment le gouvernement fédéral devrait soutenir les médias en difficulté grâce à des subventions ou des modifications fiscales.

En tant que participante parrainée par la Guilde, j’étais la seule journaliste terrain à la table ronde de Regina avec des éditeurs de quotidiens et de journaux hebdomadaires, des rédacteurs et des universitaires du Manitoba, de la Saskatchewan et de l’Alberta.

Les principales questions que nous avons abordées sont les suivantes :

– Quelles répercussions la détérioration des médias traditionnels a-t-elle eues sur la fonction civique du journalisme et la démocratie ?

– Est-ce que les nouveaux médias numériques qui se consacrent aux nouvelles comblent ce vide ?

– Est-ce qu’il y a un rôle pour les politiques publiques visant à aider à maintenir une bonne circulation des nouvelles et de l’information ?

Ce qui rend difficile l’évaluation de l’impact global sur la démocratie lorsque l’on modifie la couverture des nouvelles est qu’il n’y a pas de consensus sur la façon de quantifier le résultat.

Si Facebook et Twitter ont habilité les journalistes citoyens et encouragé l’innovation, les sentiments exprimés lors de la table ronde interrogeaient la fiabilité de l’information et l’incapacité d’un-e citoyen-e–journaliste à exiger des comptes face aux institutions.

Une question qui fait réfléchir a surgi au sujet de la couverture du sport, de son influence et du poids  des équipes de la Ligue nationale de hockey. Un participant a fait remarquer que la meilleure couverture des Jets de Winnipeg ces jours-ci est faite par l’équipe elle-même. Il a ajouté que dans ce contexte, les quelques journalistes qui couvrent l’équipe risquent de se voir retirer en tout ou en partie l’accès à l’équipe et aux joueurs s’ils remettent un peu trop l’équipe en question.

Bon nombre de gens craignent que la même chose est peut-être en train de se produire en politique et dans le domaine des affaires.

Le constat était que « des intérêts puissants contrôlent l’information ». Nous avons déjà entendu cela.

Les participants aux tables rondes ont échangé sur le fait que de longues enquêtes journalistiques ou même le reportage de nouvelles quotidiennes exige du temps et du soutien juridique. Les journalistes doivent régulièrement assister aux procédures judiciaires, faire des demandes d’accès à l’information et assister à des réunions du conseil scolaire et du conseil de ville, même si ceci ne leur permet pas d’obtenir un reportage solide ce jour-là.  Le fait d’avoir « des journalistes sur le terrain » représente un coût avec lequel de nombreux rédacteurs et éditeurs ont du mal actuellement.

Les recettes publicitaires sont considérablement réduites par rapport à il y a quelques années, alors que les gouvernements ont soit arrêté la publicité dans les journaux, ou ont tout simplement réorienté leurs fonds publicitaires vers des sites en ligne tels que Google et Facebook. Une autre crainte exprimée était que la perte de recettes publicitaires avait particulièrement nuit aux journaux communautaires, ethniques et de minorités linguistiques.

Certains participants ont suggéré que le gouvernement offre des crédits d’impôt aux entreprises afin d’encourager la publicité sur les sites Web de médias canadiens. Autres recommandations : la création d’un fonds de redevance similaire à l’industrie de la musique canadienne pour les éditeurs canadiens de nouvelles en ajustant les lois sur les droits d’auteur afin que les agrégateurs tels que Facebook et Google paient pour le contenu.

En tant que journaliste chez le radiodiffuseur public, je suis tout à fait consciente des batailles de revenus de publicité qui ont été menées dans les années 80 et 90 en télévision. Il y avait une pression constante sur CBC/Radio-Canada de la part des radiodiffuseurs privés pour sortir du marché des nouvelles télévisées locales. Maintenant, ces mêmes plaintes proviennent d’éditeurs qui produisent des nouvelles en ligne et du contenu d’actualité derrière un verrou d’accès payant.

CBC.ca est un portail de nouvelles en ligne à succès qui est en concurrence avec toutes les agences de nouvelles dans le monde. Les participants des tables rondes du secteur privé se sont dits préoccupés par le fait que CBC, en tant que radiodiffuseur public, fournit des articles de type « pièges à clics » pour attirer les lecteurs.

Il n’y a pas de verrous d’accès payant sur CBC.ca.

La réalité est que la crise des médias frappe tout le monde, et c’est une approche erronée de supposer que Radio-Canada constitue le principal obstacle. Les défis ne manquent pas, dont Facebook, Google, d’autres innovations technologiques et l’évolution des habitudes d’écoute pour n’en nommer que quelques-uns. En portant excessivement l’attention sur le radiodiffuseur public, nous risquons de nous égarer et perdre de vue de véritables solutions aux problèmes que tous les médias, et sans doute les téléspectateurs, font aujourd’hui face.

Il est généralement reconnu que CBC/Radio-Canada joue un rôle vital dans notre système médiatique en tant que diffuseur public national du pays. CBC/Radio-Canada et les médias privés bénéficient de soutiens réglementaires et de financement spécifiques, mais de toute évidence, ceux-ci ne suffisent plus. Nous devrions donc nous employer à trouver des moyens qui nous permettent de continuer à avoir une diversité des voix dans notre système – notamment des médias d’information publics, communautaires et privés.

La Guilde croit fermement que CBC/Radio-Canada doit être présent sur toutes les plateformes que les Canadiens utilisent, y compris la radio, la télévision, en ligne, mobile et tous les dispositifs de distribution à venir.

Cependant, cet engagement à servir les Canadiens sur toutes les plateformes exigera un soutien accru pour le diffuseur public afin qu’il puisse continuer à atteindre et à rassembler les Canadiens indépendamment de la géographie.

En 1957, le gourou de renom en médias et communications Marshall McLuhan a écrit : « À mesure que les technologies progressent, elles inversent les caractéristiques de chaque situation sans arrêt. L’ère de l’automatisation deviendra l’ère du « faites-le vous-même ».

Oh, comme il avait raison.

Voilà pourquoi la question que le Forum des politiques publiques soulève – à savoir si dans un tel environnement, la fonction civique du journalisme et de la démocratie est toujours aussi importante pour nous – est cruciale, et la réponse est manifestement oui. Ce que nous devons nous évertuer à comprendre ensemble c’est comment le faire correctement.

Kim Trynacity est une journaliste primée et membre de la Guilde

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