Par Lise Lareau, présidente nationale de la Guilde canadienne des médias
Il y a aujourd’hui un an que débutait le lock-out à la SRC/CBC, laissant ainsi plus de 5 500 employés dans la rue. Il est difficile de savoir si l’on devrait fêter, pleurer, souligner ou oublier cet anniversaire.
On pourrait mettre l’emphase sur notre victoire : le fait que les citoyens et les employés de la SRC/CBC ont travaillé ensemble pour mettre fin au conflit. Nous avons beaucoup appris en ce qui concerne la mobilisation des gens et la création d’un climat qui invite la camaraderie, la créativité et l’ingéniosité, ce qui a assuré la victoire. Ensemble, nous avons prouvé que la lutte pour de vraies carrières, et non pas une série de contrats temporaires, est universelle et importante. De plus, nous avons appris que l’on peut gagner. Il est important de se souvenir des aspects positifs de l’événement. Mais, un an après, d’autres événements nous ont bouleversés et il est difficile de savoir comment faire le point.
Examinons la situation actuelle. En premier lieu, le gouvernement minoritaire Conservateur réussit à garder le silence au sujet de ses plans vis-à-vis la SRC/CBC. En juin dernier, Bev Oda, ministre du patrimoine, a annulé son examen prévu du mandat de la SRC/CBC, en dépit du fait qu’elle avait défendu cette idée pendant le lock-out et la dernière campagne électorale fédérale. Pourquoi ? Probablement pour que son gouvernement puisse éviter la question jusqu’au lendemain des prochaines élections, quand il formera peut-être un gouvernement majoritaire.
D’autre part, CTV, le plus important diffuseur privé, est sur le point de devenir un monstre médiatique capable d’écraser tous ses concurrents télévisuels et, jusqu’à un certain point, radiophoniques, avec son acquisition du réseau CHUM. CTV aura maintenant un pouvoir d’achat immense. On n’a qu’à examiner le projet du réseau d’offrir 1,4 milliards de dollars pour les droits de diffusion des jeux de la LNH pendant dix ans. CTV constitue maintenant une force énorme au niveau de différentes plate-formes, une force que le CRTC et les fonctionnaires fédéraux craignaient de la part de la SRC/CBC lorsqu’ils refusaient les demandes du réseau public pour plus de canaux câbles et un plus grand nombre de services sur d’autres plate-formes.
De plus, au-delà du manque de direction de la part du gouvernement et des grands changements dans le monde médiatique, la SRC/CBC est affaiblie par sa structure même. Il est vrai que bien des gens trouvent la question plate, mais je crois que le lock-out a été une catastrophe, qui aurait pu être évitée si les structures relatives aux finances et au conseil d’administration avaient été réparées.
Comme nous le savons aujourd’hui, la SRC/CBC a continué de recevoir sa subvention fédérale pendant le lock-out et a épargné 40 millions de dollars en salaires. Il n’y avait pas de mesure incitative financière pour mettre fin au conflit, en dépit du fait que les Canadiens ne recevaient pas de service et qu’un désastre se préparait au niveau des cotes d’écoute. Quand la Guilde a demandé que le gouvernement fédéral suspende son financement de la SRC/CBC pendant le lock-out, le Conseil du trésor et les fonctionnaires fédéraux n’avaient apparemment pas le moyen de le faire. Il faudrait modifier la loi pour le permettre.
De quelle façon les Canadiens peuvent-ils surveiller les agissements de la Société? Pour l’instant, le conseil d’administration compte parmi ses membres un petit groupe de gens bien informés, ainsi qu’un plus grand groupe de personnes nommées malgré le fait qu’ils n’ont pas d’antécédents dans l’industrie. Carole Taylor a démissionné à titre de présidente du conseil, quelques mois avant le lock-out, en partie parce qu’elle était frustrée par la façon dont le gouvernement avait comblé huit postes vacants à l’époque. En compagnie d’un comité du conseil, elle avait énuméré des critères, engagé un chasseur de têtes, et cherché les meilleurs candidats disponibles. Elle a par la suite fait parvenir cette liste au cabinet du premier ministre, mais personne y figurant n’a été choisi pour siéger au conseil.
Pire encore, le conseil d’administration n’a pas le droit d’embaucher ou de congédier le p-dg, qui est imputable envers le cabinet du premier ministre plutôt qu’envers le conseil d’administration. Selon la Loi sur la radiodiffusion, le grand patron est nommé à titre inamovible, ce qui signifie qu’il peut être remercié seulement « à juste titre », et non pas à cause, par exemple, d’une erreur grave. Cela protège peut-être l’indépendance de la SRC/CBC vis-à-vis du gouvernement, mais cela signifie également que, dans la plupart des circonstances, le chef de la SRC/CBC n’est directement responsable envers aucune institution publique.
Même un ancien président de la SRC/CBC préconise une réforme au niveau de la gouvernance. Tony Manera, président dans les années 90, soutient que le p-dg doit être embauché et évalué par le conseil d’administration, afin d’établir la distance nécessaire entre le diffuseur public et le gouvernement. Il appuie aussi l’idée de nommer deux représentants des employés au conseil. La Guilde a fait cette proposition plusieurs fois, plus récemment pendant l’étude importante du système de radiodiffusion entreprise par le comité fédéral du patrimoine il y a trois ans.
Pourquoi ces changements structurels et la transparence sont-ils tellement importants? Parce que les responsables prendront de nouveau de mauvaises décisions, comme le lock-out, s’ils n’ont pas à en subir les conséquences.
Un an plus tard, il y a aussi des développements positifs. La Guilde et la direction participent actuellement à un processus visant à réparer leurs relations. Des gens haut placés, dans les deux organisations, ont consacré du temps à évaluer le dommage et à proposer des moyens concrets pour améliorer la situation.
Mais en fait, le bien-être à long-terme de la SRC/CBC dépend plus que jamais de l’engagement des Canadiens envers la diffusion publique. Cela nécessite la fin de la négligence gouvernementale envers la SRC/CBC. Cela nécessite aussi d’entreprendre des mesures concrètes pour s’occuper des problèmes structurels du diffuseur. La SRC/CBC ne peut pas se permettre encore plus de mauvaises décisions dans ce climat d’incertitude.
En fin de compte, c’est probablement une bonne idée de souligner l’anniversaire du lock-out en faisant preuve d’espoir : les expériences créées il y a un an par les employés de première ligne et leur auditoire privé de service devraient servir de modèle pour revigorer la diffusion publique. Il s’agit là de quelque chose qu’aucun monstre du secteur privé ne pourra jamais remplacer.