Au cours des deux dernières années, alors que nous nous efforcions de comprendre la stratégie 2020 du chef de la direction de CBC/Radio-Canada – stratégie mettant exclusivement l’accent sur la promotion de la présence numérique de CBC/Radio-Canada tout en s’accompagnant de coupes claires dans les actualités et la programmation télévisuelles ainsi que de la mise à l’écart de la radio – un grand nombre d’entre vous nous ont conviés à nous exprimer plus ouvertement au sujet de ce changement soudain de priorités, en grande partie inexpliqué, qui s’est traduit par un nombre record de licenciements (un membre de la Guilde sur quatre est touché).
Au départ, dans nos propres rangs, certains de mes collègues se sont montrés réticents à critiquer la vision de M. Lacroix pour diverses raisons, dont le manque de renseignements véritables. Au cours des mois qui ont suivi, cependant, nous avons vu un nombre croissant d’analystes des médias s’en prendre à la stratégie 2020 d’Hubert Lacroix, en se demandant, comme nous-mêmes, si cette stratégie soi-disant « éclairée » de soutien à la technologie numérique ou cette tentative prétendument « réfléchie » d’avancement du radiodiffuseur public n’était pas plutôt une excuse pour effectuer des compressions et réduire les effectifs.
La question continue d’être brûlante, puisque M. Lacroix s’efforce de promouvoir sa stratégie auprès de la nouvelle ministre du Patrimoine Mélanie Joly – dont il fut le patron dans le privé au sein du cabinet Stikeman Elliott de Montréal (spécialisé dans les fusions et acquisitions) avant d’être nommé à la tête de CBC/Radio-Canada. Mme Joly semble se rallier aux vues de M. Lacroix, qui privilégie les plateformes mobiles pour le radiodiffuseur public national, sans remettre en question ni les coupes considérables affectant la capacité de production de CBC/Radio-Canada et son rôle traditionnel de créateur d’émissions originales et non de distributeur de programmation faite à l’extérieur, ni le manque de véritable soutien financier ou autre pour les actualités et la programmation locales et régionales. Néanmoins, la révision complète des politiques canadiennes des médias et de la culture – y compris la Loi sur la radiodiffusion – lancée par la ministre est en cours et nous aurons l’occasion d’exprimer nos préoccupations d’ici la fin de l’année.
C’est pourquoi je vous recommande vivement de lire l’article de Gregory Taylor, professeur de communications, médias et cinéma à l’Université de Calgary intitulé Dismantling the public airwaves: Shifting Canadian public broadcasting to an online service, dans lequel il passe au crible le plan stratégique 2020.
Taylor doute que cette « refonte radicale » et cette promotion énergique des nouvelles plateformes habilitent CBC/Radio-Canada à s’acquitter de son mandat de média de service public, et que cette course à la « mobilité » soit appropriée à l’heure actuelle, alors qu’il est clair, preuves à l’appui, que la grande majorité des Canadiens continuent de se fier aux émissions télévisées, y compris des émissions d’actualités et d’information. Il cite notamment des données de la Grande-Bretagne montrant que dans ce pays, la télévision représentait 85 % du visionnement audio-visuel et qu’on ne s’attend pas à la disparition de la radiodiffusion traditionnelle – si disparition il y a – avant 2030.
Dans cet article, M. Taylor affirme que « Le radiodiffuseur public national est en train de s’engager à fond dans un âge de post-radiodiffusion, alors qu’il est manifeste que la radiodiffusion se porte bien », ajoutant que « À bien des égards, [la stratégie 2020] facilite les compressions imposées par le gouvernement et limite la portée du diffuseur public national, tout cela sous couvert d’avancement du numérique ».
Taylor prévient que cette attitude « portera atteinte, au moins dans un avenir prévisible, à [la capacité de CBC/Radio-Canada] à offrir un service universel aux Canadiens et à remplir ses obligations, en faisant remarquer [qu’il] existe déjà des preuves tangibles du caractère prématuré du passage [de CBC/Radio-Canada] au monde virtuel ».
Taylor souligne également le fait navrant qu’au palmarès des radiodiffuseurs publics les moins financés des principaux pays occidentaux, CBC/Radio-Canada se classe en troisième position. Il s’agit d’ailleurs là d’un fait que la Guilde continue à s’efforcer de porter dans le champ politique.
De toute évidence, la Guilde partage le scepticisme de M. Taylor au sujet de la vision de M. Lacroix. Notre désabusement persistant à l’égard de sa gouvernance nous a conduits à demander le réexamen de sa stratégie 2020 (mai 2015) et – en commun avec nos collègues de Radio-Canada du Québec et de Moncton – sa démission.
À l’heure où nous nous préparons pour une nouvelle année de discussions importantes sur l’avenir de CBC/Radio-Canada et des médias au Canada, je vous engage instamment à lire l’analyse de M. Taylor.
Carmel
Carmel Smyth,
Présidente de la Guilde