Accueil / Nos lieux de travail / Radio-Canada/CBC / Travail dangereux : les réalités de la téléréalité

Travail dangereux : les réalités de la téléréalité

Il fut un temps où le métier le plus dangereux du petit écran était celui du correspondant de guerre qui parcoure le monde pour couvrir un conflit meurtrier après l’autre. Ce métier, loin d’être rose, qui est empreint d’une vague aura d’héroïsme : un peu comme celui de médecin au front ou de travailleur humanitaire. La mort est une chose affligeante mais c’est un risque du métier, connu et accepté.

À présent cependant, c’est aussi en faisant des films de téléréalité qu’on trouve la mort.

Étant moi-même preneur de vues, je me suis retrouvé à maintes reprises à deux doigts du trépas. Et j’ai connu, au cours des dernières années, trois Canadiens exerçant le même métier que moi qui y ont laissé la vie.

Leur mort, loin d’être glorieuse, était vraiment absurde et elle aurait vraiment pu être évitée.

Pourtant, il y aura encore des morts avant que les choses changent.

La raison pour laquelle la téléréalité continue de jouer avec le feu ?

En fait, il y en a quatre :

1. Les émissions les plus dangereuses sont celles qui ont la plus grande audience.

2. Luttant pour survivre dans le contexte actuel de la télévision, les radiodiffuseurs demandent des choses de plus en plus risquées.

3. Séduits par l’appât du gain, les chefs de production en oublient des questions aussi prosaïques que la sécurité des équipes de tournage.

4. Résolus à conserver leur emploi, les membres des équipes de tournage ont appris à se taire pour ne pas se faire remplacer par une armée de candidats plus jeunes, prêts à servir de chair à canon.

Je n’ai pas besoin d’aller chercher bien loin pour prouver ce que j’avance. Ayant à mon actif une carrière assez longue, et parfois convenable, je me retrouve à filmer des émissions de plus en plus dangereuses pour des salaires de plus en plus étriqués.

Au risque de paraître cinglant, j’avouerai que le danger ne me dérangerait pas autant si j’étais libre d’en décider par moi-même.

Ce que je n’apprécie pas, c’est d’être forcé de faire au quotidien des choses dangereuses où je risque ma vie, comme si c’était une chose banale. Voici quelques exemples de pratiques sans bon sens auxquelles tout preneur de vues est confronté :

– filmer à bord d’une automobile, sans ceinture de sécurité – une situation courante.

– filmer à bord d’un hélicoptère sans harnais de sécurité adéquat ou avec un pilote casse-cou.

– filmer à bord d’un bateau sans équipement de sécurité adéquat, pas même de gilets de sauvetage.

– filmer en grand angle, juché sur une grue ou autre, sans équipement de sécurité adéquat.

J’en passe… À cela, il faut ajouter que nombre de nos affectations comportent des risques inhérents. C’est le cas, par exemple quand on filme des policiers, des pompiers ou des pêcheurs de grands fonds.

J’ai frôlé la mort en mer, dans les airs et sur terre. Pourtant, comme tous ceux qui savent ce que c’est que d’être à la merci d’un chèque de paye, ce n’est que très rarement que j’ai fait part de mes préoccupations.

Les profanes pourraient être portés à croire qu’un métier dangereux comme celui-là suppose une formation rigoureuse en matière de sécurité et des frais d’assurance exorbitants. Ils seraient bien surpris…

La majeure partie du secteur de la téléréalité est non réglementée, car dépourvue de syndicat.

Les assurances varient grandement ; il arrive même qu’il n’y en ait aucune. Et les membres des équipes de tournage n’ont pas intérêt à se plaindre s’ils tiennent à garder leur travail.

Dans toute ma carrière, je n’ai reçu de formation en matière de sécurité que deux fois, et dans les deux cas, il s’agissait d’une formation de dernière minute totalement superflue puisque ça faisait des jours que nous faisions le travail et que nous étions déjà accoutumés au danger.

Une fois seulement, on m’a offert une indemnité de risque pour filmer, de façon prolongée, dans un endroit très dangereux. J’ai apprécié ce geste.

Un des aspects les plus étranges de mon domaine d’activité est le machisme silencieux et stoïque qui y règne. Une fois, au travail, j’ai rencontré un preneur de vues américain qui m’a fièrement raconté qu’il avait pris en filature un homme qui venait d’abattre trois adolescents et qu’il l’avait secrètement filmé. Je n’ai pu m’empêcher de penser « Pour l’amour du ciel! Ça rime à quoi? »

Nous avons un besoin urgent d’un accord professionnel sur la sécurité au travail et les exigences en matière d’assurance.

C’est plus vite dit que fait. La situation est peut-être un peu plus favorable qu’il y a une couple d’années, puisque tout le monde parle maintenant des abus, mais il reste encore beaucoup à faire pour galvaniser la solidarité. Pour l’heure, la mort d’une personne est une occasion d’emploi pour une autre. La concurrence est rude.

Une large partie de l’effort de syndicalisation devra se faire en secret, exactement comme aux premiers jours du mouvement syndical. Mais j’espère que ces efforts continuent, et qu’ils seront couronnés de succès.

Afin de ne pas compromettre les chances de l’auteur de trouver du travail, nous ne révélons pas son nom.

Cliquez ici pour en savoir et vous engager dans la campagne pour de meilleures conditions de travail en téléréalité.   

Ressources pour les membres


Sujets les plus consultés

Scroll to Top