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Victimes innocentes d’un lock-out malveillant

L’anniversaire de Terry Fox met un relief un choc des valeurs, ainsi que le mythe des productions « indépendantes »

Par Lise Lareau
Présidente nationale de la GCM

Ma célébration de l’anniversaire de Terry Fox est marquée de différentes émotions, mais surtout de larmes. Je pleure non seulement la perte d’un héros national, mais également la disparition de notre capacité nationale de discerner le bien du mal.

Cet article relate comment deux groupes très différents sont devenus les victimes innocentes d’un lock-out orchestré par la SRC/CBC le 15 août dernier. Et comment le sac et le ressac de l’opinion publique les oppose l’un à l’autre.

Le premier groupe, la Fondation Terry Fox gérée par le frère de Terry, Darrell Fox, avait prévu célébrer de façon spectaculaire, le 16 septembre, le 25e anniversaire du Marathon de l’espoir de Terry. Avec l’aide de la SRC/CBC, le pays tout entier aurait assisté aujourd’hui à une journée nationale de célébrations regroupant des enfants, des enseignants et des leaders communautaires.

Nous, les membres de la Guilde canadienne des médias, sommes l’autre groupe impliqué. Nous avions prévu diffuser cette journée spéciale. Peter Mansbridge et Ian Hanomansing devaient en être les animateurs à la télé. Un énorme projet d’archivage avait été prévu en ligne. Des centaines de membres de la Guilde devaient y travailler, d’une façon ou d’une autre. Nous devions assister à une de ces émissions spéciales d’une journée que seule la SRC/CBC est en mesure de mener à bien au pays.

Comme nous le savons tous, la SRC/CBC a mis ses employés en lock-out il y a maintenant près de six semaines. Ce sont les dirigeants de la Société qui ont choisi cette mesure extrême, de même que son échéancier. Ils ont décidé que la période fin août/septembre/octobre constituait le « meilleur » temps de l’année pour prendre une action aussi drastique, parce que les Jeux olympiques d’hiver n’étaient pas en cours et qu’aucune élection n’est prévue pour le moment. Il est évident que pour la SRC/CBC, l’émission spéciale consacrée à Terry Fox ne pesait pas lourd dans la balance.

Cependant, la SRC/CBC n’a pas voulu céder le projet Terry Fox à un autre réseau qui aurait pu lui rendre justice, étant donné le changement de circonstances : la Société a plutôt décidé de le tronquer et de le magouiller. Une émission d’une journée complète a été réduite à un projet de diffusion de deux heures « en direct sur ruban » des manifestations se déroulant partout au pays. La Société a embauché les mêmes trois personnes qui travaillaient déjà au projet (en vertu des règles de l’entente collective de la GCM) avant le début du lock-out, et décidé de les garder comme « entreprise de production indépendante » après l’imposition du lock-out.

Nous savons à présent que cette entreprise de production a embauché sous contrat au moins cinq autres équipes de production un peu partout au pays pour enregistrer et diffuser les manifestations – à St. John’s, Ottawa, Oshawa, Regina et Victoria. En fait, ce ne sont pas des équipes – ce sont des briseurs de grève, ou plus poliment des « employés de remplacement ». Ils effectuent le travail que les membres de la GCM auraient accompli si leur employeur ne les avait pas mis en lock-out.

Les producteurs ont embauché un camion de production mobile, appelé TV2GO, ainsi qu’un opérateur pour fournir une liaison satellite montante à partir de St. John’s. Détail ahurissant, la compagnie de production a en fait offert à des retraités et à des employés en lock-out de la SRC/CBC de travailler à l’émission. Bien sûr, ils ont oublié de mentionner la question des briseurs de grève. Certains se sont fait dire qu’il s’agissait d’une production de CTV, d’autres qu’ils allaient travailler pour une « entreprise de production indépendante ». On leur a offert une excellente rémunération.

L’unité de St. John’s de la Guilde a établi une ligne de piquetage dès qu’ils ont vu, hier, le camion tenter de se rendre au parc national de Signal Hill. Plusieurs personnes embauchées pour travailler au projet ont alors appris, sur la ligne de piquetage, qu’il s’agissait en fait d’une production de la SRC/CBC déguisée sous un autre nom. Le camion de production a été bloqué.

La police et des responsables de la SRC/CBC (au cas où certains auraient cru par mégarde qu’il s’agit d’une production indépendante) sont demeurés sur place toute la journée.

J’ai communiqué avec Darrell Fox, lui ai expliqué que nous étions tous victimes d’un lock-out, et lui ai demandé de retarder la diffusion de l’émission jusqu’après la fin du lock-out. Pour moi, cela semblait une bonne solution à une mauvais situation : les célébrations auraient lieu comme prévu, et les téléspectateur pourraient les voir en différé, une fois le lock-out terminé.

Néanmoins, M. Fox possédait une différente vision et différentes priorités – qui peut l’en blâmer. Il a voué sa vie à l’héritage de son frère Terry et au recueil d’argent pour financer la recherche sur le cancer. On peut certainement comprendre son désir ardent de voir les événements de la journée se dérouler comme prévu, même sous une forme plus réduite.

Ce furent là des conversations difficiles. Je désirais m’assurer que les événements prévus ne seraient pas perturbés, tout en essayant d’expliquer que la façon dont la SRC/CBC prévoyait les diffuser nous causait des problèmes, que ce que faisait la Société était à la fois immoral et illégal. Je me devais de défendre nos membres, privés de leur travail et de leurs moyens de subsistance. Néanmoins, il a été d’avis que cette « dispute », de quelque nature qu’elle soit, devait passer au second plan par rapport à l’héritage de Terry Fox.

La plupart des gens donneraient probablement raison à M. Fox. En fait, lui et la SRC/CBC comptent là-dessus. Ce n’est pourtant pas l’avis de Gerry Rogers, une activiste qui a survécu au cancer. Prenant la parole au cours d’une conférence de presse pour dénoncer le recours aux briseurs de grève, Mme Rogers a déclaré que Terry Fox symbolisait plus que la lutte contre le cancer et la réalisation de défis, et que la vie « ne constitue pas une lutte que doit vaincre seul chaque homme, chaque femme et chaque enfant. » Quand j’ai lu cette citation, j’ai réalisé que cette survivante du cancer avait extrêmement bien résumé notre propre lutte.

Ce que M. Fox et moi n’avons pas réussi à nous communiquer, c’est que nous sommes engagés dans différentes luttes, et que la SRC/CBC a forcé une situation qui nous oblige à nous dresser l’un contre l’autre – au niveau des médias nationaux et de l’opinion publique. C’est mal. En fin du compte, Darrell Fox et moi avons convenu d’un compromis. La Guilde n’érigera pas de ligne de piquetage aux événements prévus pour aujourd’hui, par respect à leur égard. De son côté, Darrell Fox a promis que les éléments de l’émission en provenance de St. John’s ne se dérouleront pas comme prévu. Les enfants vont chanter à Signal Hill, mais aucun briseur de grève ne sera embauché pour les couvrir.

Il est peut-être symbolique que Darrell Fox et moi ayons pu avoir ces discussions animées et nous entendre finalement sur une solution. De son côté, la SRC/CBC s’en tire en jetant ses employés à la rue tout en continuant d’empocher des millions de dollars chaque semaine (dans les propres mots de Richard Stursberg) et en enfreignant les principes du droit canadien du travail par le recours à des briseurs de grève. Il semble bien que la Société ne croit pas devoir justifier ses actions.

Et qu’en est-il de la « compagnie de production indépendante »? Rappelez-vous ces noms : Moyra Rodger, Shannon Lowry et Heather Smith. Vous pouvez ajouter à cette liste celui de Jody Vance, selon la version du « malentendu » à laquelle vous souscrivez. Qui a tort et qui a raison dans tout cela? La triste réalité est que bien des gens ont oublié comment discerner la différence. Sauf les gens de St. John’s.

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