J’ai discuté métier avec Josée Boileau, rédactrice en chef du Devoir. Elle me disait avoir toujours gagné sa vie en écrivant et sa réflexion était la suivante : si j’avais gradué cette année, aurais-je pu être journaliste en ne maîtrisant que l’écrit ?
La pression des plate-formes qui s’exerce sur les journalistes est non seulement vive, mais omniprésente. Écrire est essentiel, mais on demandera de lever un extrait sonore, de prévoir une vidéo, de repenser le texte pour une trame narrative, d’en faire une manchette pour Twitter et de prendre une photo aussi. Pourquoi pas ?
Demander à une seule personne de tout faire peut entraîner une certaine économie de coûts. Vraiment? Pour être réelle, l’économie ne sera possible qu’à certaines conditions. Demander à des journalistes de la radio de faire des narrations pour le vidéo, certes. Demander à un journaliste écrit qui se rend à une conférence d’enregistrer l’audio pour le remettre ensuite à ses collègues de la radio, bien sûr. Demander de prendre une photo à l’occasion, peut-être. Toutefois, la prise d’images et la cueillette de contenu journalistique sont deux activités très différentes et ne devraient pas être faites en même temps.
Je suis en faveur au dépassement, je peux aussi faire quelques numéros de jonglerie, mais je n’ai pas été lancée au milieu de l’arène sans préparation. Et avant d’exécuter un exercice de haute voltige, encore faut-il avoir eu le temps de se frotter aux hauteurs.
Dans leur grande sagesse de convergence et de décloisonnement, trop de patrons oublient que les journalistes, tout audacieux et téméraires qu’ils peuvent l’être, sont avant tout des êtres humains aux aptitudes techniques acquises et non innées.
Tout ça me rappelle un de mes collègues envoyé dans la fosse aux lions avec pour commande de tout faire. Certes, une autre journaliste l’accompagnait pour le texte, mais il devait néanmoins capter les extraits, suivre les échanges, monter les éléments sonores et expédier des reportages pour la radio. Je dois dire qu’il s’en est assez bien tiré. Les extraits ont été livrés avec célérité et étaient d’une bonne qualité sonore. Sur le plan technique rien à redire, mais on lui avait aussi demandé de faire des reportages audio. Sur ce point, malgré toute sa bonne volonté et son enthousiasme, il n’avait pas reçu la formation pour ce faire. Un détail semble-t-il pour l’affectateur responsable. Comme si faire de la radio n’était rien de plus que de lire à voix haute, comme on apprend à le faire en première année du primaire.
Lorsqu’une telle situation se présente, les risques sont tout aussi grands pour le journaliste qui débute ou non – et qui devra assumer ses envois et les commentaires qui suivront – que pour l’entreprise qui livre un produit qui ne correspond pas aux standards réguliers attendus et espérés. À plus long terme, ce type de pratique risque d’abaisser les standards de la profession et les exigences requises pour l’exercer.
Il importe d’exiger la délivrance d’une formation nécessaire et adéquate. Ce n’est pas le journaliste qui est à blâmer. Il ne fait, lui, qu’exécuter le travail qu’on lui demande. Comme unité syndicale par contre, il faut sensibiliser les patrons au non sens de telles affectations, comme on ne confierait pas à un pneumologue l’exécution d’une chirurgie cardiothoracique complexe. Les deux spécialistes travaillent peut-être dans le même édifice et auprès du même patient, mais chacun possède son champ d’expertise !
À vouloir continuellement tourner les coins ronds, les entreprises finiront par rater le virage. Il est bon de rappeler aux gestionnaires que la recherche de la rentabilité maximale ne doit pas servir de justification pour abaisser les exigences de qualité. Soyons conscients du risque et demandons un coup de barre!
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par Lise Millette, journaliste à la radio de La Presse Canadienne et membre de la Guilde canadienne des médias.
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