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Que devraient faire les médias face aux attaques contre les personnes trans ?

MORGAN SHARP
Pour SCA Canada

« Le reporter ne doit jamais devenir le reportage. » Ce vieil adage souvent entendu dans les salles de nouvelles risque, comme la plupart des façons de faire traditionnelles, de devenir redondant et obsolète à notre époque marquée par la manipulation politique des médias sociaux.

Être une personne trans, c’est maintenant se retrouver malgré soi au cœur du reportage. Ce qui a commencé comme un mouvement de panique artificiel déclenché par des lois réglementant l’accès aux toilettes publiques (en anglais) il y a de cela plusieurs années s’est transformé en un fourmillement de lois discriminatoires dans des douzaines d’états américains, l’objectif commun étant de limiter les droits des personnes trans dans plusieurs aspects de leur vie publique et privée, et en particulier en matière de soins de santé.

Au Canada, ces forces régressives semblent moins bien organisées que chez nos voisins du sud ou qu’au Royaume-Uni (en anglais). Elles sont toutefois bel et bien présentes, ayant en outre facilité un recul en matière d’éducation sexuelle inclusive (en anglais) en Ontario il y a quelques années. Elles ont également été actives lors d’élections scolaires récentes (en anglais). De petits groupes de manifestants de droite ont entrepris d’empêcher la lecture de contes aux enfants par des drag queens (en anglais) dans des bibliothèques publiques. Heureusement, en l’absence d’un équivalent au deuxième amendement de la Constitution américaine, aucune arme à feu n’était présente lors de ces manifestations.

Que cela nous plaise ou pas, le droit pour une minorité de personnes d’exister est devenu le point de mire d’une variété de groupuscules régressifs à tel point que le fait de célébrer, ou même simplement de reconnaître, l’existence des personnes transgenres expose un individu à du harcèlement sans fin, autant en ligne qu’en personne.

(Les vidéos du chanteur Kid Rock et d’autres hommes en colère tirant sur des caisses de bière Bud Light après que l’entreprise ait employé une drag queen pour faire la promotion de leur bière sur les réseaux sociaux (en anglais) sont un exemple flagrant de ce phénomène. La colère suscitée par la campagne de promotion de Hershey pour la Journée internationale des femmes (en anglais), qui mettait en vedette la militante canadienne Fae Johnstone, en est un autre.)

Cette forte opposition s’inscrit à l’intérieur d’une stratégie délibérée (en anglais) visant à éliminer tout modèle positif pour les personnes trans et au genre créatif tout en appliquant une norme stricte et arbitraire à l’ensemble de la population, que nous soyons trans ou cis.

Nous sommes actuellement sur le point de célébrer le Mois de la fierté, une reconnaissance annuelle du droit des personnes bispirituelles, lesbiennes, gaies, bisexuelles, transgenres, queers et autres (2ELGBTQ+) de s’épanouir.

Mais est-il vraiment possible de couvrir cette fête débordante de paillettes et confettis, cette rébellion face à une culture dominante caractérisée par la cisnormativité et l’hétéronormativité, sans aborder la sombre réalité qui l’entoure?

Cette atmosphère de plus en plus lugubre a des conséquences réelles et lourdes de sens. Il y a de cela seulement deux semaines, le gouverneur de la Floride (et potentiel candidat républicain à la présidence) a ratifié une série de lois (en anglais) conçues pour rendre illégal le fait de vivre en tant que personne trans, alors que le Texas a interdit tout type de soins de santé visant à affirmer l’identité de genre d’une personne mineure.

Face à cette réalité, comment les médias doivent-ils répondre, eux pour qui « dire la vérité aux puissants » est un principe sacré ? Comment une personne trans journaliste doit-elle composer avec cette fusion entre son identité professionnelle et son identité personnelle ? Qu’est-ce que le public, et la société dans son ensemble, doit savoir afin de mieux comprendre le monde qui l’entoure?  À qui revient la responsabilité de raconter ces histoires ?

Je n’en suis pas certaine.

Mais ce que je sais, c’est que nous n’avons pas besoin de faux scandales, comme ce récent reportage télévisuel sur une femme trans qui a terminé devant 14 000 autres femmes lors du marathon de Londres, comme si ce fait prouvait qu’elle avait bénéficié d’un avantage physique indu. Ce que le reportage ne mentionnait pas, c’est que plus de 6 000 femmes ont terminé devant elle.

(Des fédérations de sport de haut niveau ont récemment indiqué que les femmes trans qui ont eu une puberté masculine sont inadmissibles à prendre part aux compétitions réservées aux femmes, une décision qui ne s’applique pas à la portion non compétitive des événements ouverts au public, comme le marathon de Londres.)

Nous avons besoin de plus de nuances, et de moins de reportages soi-disant neutres qui donnent une plateforme à ceux dont les arguments ont pour but de déshumaniser leurs opposants. Nous avons besoin de plus de reportages qui racontent le quotidien de personnes qui sont trans ou qui connaissent quelqu’un qui est trans, sans que ce fait cause l’effondrement de notre société. Nous avons besoin de plus de personnes trans occupant des postes de journalistes, rédactrices, ou autres dans le domaine médiatique. Et nous avons besoin de plus d’alliés qui soutiennent haut et fort le droit des personnes trans de raconter leurs histoires.

Est-ce vraiment trop en demander ?

(Morgan Sharp est une personne trans œuvrant dans le domaine du journalisme et responsable des petites sous-sections pour la Guilde canadienne des médias. Elle a été journaliste pour Reuters et le Canada’s National Observer, et travaille actuellement à la pige en se concentrant entre autres sur les enjeux relatifs au genre.)

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