J’ai demandé le printemps dernier le(s) document(s) que le Conseil du trésor avait envoyé(s) à la direction de Radio-Canada qui lui demandait de participer à l’ « examen stratégique » de ses priorités budgétaires.
J’attends toujours trois mois après ma demande. Cette situation et la raison du délai font que cet exercice budgétaire m’inquiète.
Il peut être positif que le gouvernement examine la façon don’t ses différents ministères gèrent les ressources humaines, qu’il décide de centraliser des activités et qu’il dégage 250 millions de dollars qui seront dépensés sur d’autres priorités (c’est ce qui est écrit dans les documents du gouvernement au sujet de l’exercice de révision.)
Mais Radio-Canada n’est pas un ministère. Radio-Canada n’est pas un diffuseur gouvernemental ou un diffuseur d’état…ou, du moins, il ne devrait pas l’être.
En tant que diffuseur public, Radio-Canada est sensé être indépendant du gouvernement. La loi qui a créé Radio-Canada stipule que la Société « jouit, dans la réalisation de sa mission et l’exercice de ses pouvoirs, de la liberté d’expression et de l’indépendance en matière de journalisme, de création et de programmation. »
Cette loi sur la radiodiffusion a été mise à jour en 1991, la même année que la Pravda, qui est sans doute l’essence même d’un média d’état en tant qu’organe officiel du Comité central du Parti communiste soviétique, a fermé ses portes. Je vous rappelle qu’il était à la mode à cette époque de vanter la supériorité des institutions publiques occidentales, incluant les médias indépendants, comme des pierres d’assise de la démocratie.
Radio-Canada n’est pas supposée être le porte-parole du gouvernement ou d’un parti. Le gouvernement en place finance la Société et doit s’assurer qu’elle est redevable des deniers publics qu’elle dépense, mais pas d’une façon qui porte atteinte à son indépendance.
Cettte situation a toujours exigé un certain doigté et au cours des années plusieurs individus et organisations ont réclamé des mesures pour protéger l’indépendance de Radio-Canada. Une des mesures les plus importantes, proposée par Radio-Canada, est la signature d’une entente à long terme entre le diffuseur et le gouvernement qui assurerait un financement stable pendant 7 ans. Ainsi, il serait plus difficile pour un gouvernement de chercher à contrôler la Société en la menaçant de lui couper les vivres.
Hélas, aucun gouvernement n’a conclu une telle entente. Au lieu, le doute plane au moins une fois par année pour Radio-Canada et ses employés qui se demandent si le chèque en provenance d’Ottawa sera plus, moins ou pareil à celui de l’année précédente. Difficile de croire que cette approche peut stimuler l’indépendance d’esprit des gens nommés par le gouvernement pour gérer le diffuseur public.
L’ « examen stratégique » de cette année semble avoir fait monter les enjeux à un tout autre niveau. Selon les divers rapports, le gouvernement conservateur demande à Radio-Canada d’identifier des projets qui représentent 5% de son budget, soit l’équivalent de 55 millions de dollars, afin que le gouvernement décide si ces projets cadrent dans ses priorités ou si cette somme doit être retirée à Radio-Canada et dépensée sur d’autres priorités.
On ne parle plus de la perpétuelle menace de réduire le budget de la Société. On parle plutôt de la possibilité que le gouvernement conservateur s’ingère directement « dans la réalisation de sa mission et l’exercice de ses pouvoirs » de Radio-Canada.
Évidemment, il serait mieux de voir le document en question qui a été envoyé à Radio-Canada, celui-là même qui a fait l’objet de ma demande d’accès à l’information.
Malheureusement, on m’a dit que je recevrai « quelque chose » du Conseil du trésor d’ici le 22 décembre, presque 7 mois après ma demande initiale.
Bien sûr, le moment choisi est enrageant parce que le budget du gouvernement sera déjà rédigé. Mais la raison offerte pour expliquer le délai par le Bureau du Commissaire à l’information du Canada, auprès de qui j’ai déposé une plainte, est tout à fait troublante. Le Conseil du trésor doit demander au Bureau du Conseil privé, qui travaille pour le Cabinet, ce qui doit être exclu des documents pour des raisons de confidentialité.
Même sans avoir vu un seul document, je me pose de sérieuses questions. Pourquoi les documents du Conseil du trésor transmis à Radio-Canada contiendraient-ils des secrets du Cabinet si cette révision stratégique est simplement à propos de « la livraison efficace et efficiente de programmes qui peuvent mieux répondre aux priorités des Canadiens » ?
Si l’établissement du budget et des priorités de Radio-Canada implique des secrets d’état, il est difficile de ne pas penser qu’on se dirige tout droit vers la création d’un organe officiel de l’état.
Karen Wirsig est la coordonnatrice des communications de la GCM.