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Le projet de loi C-461 : Une menace pour le radiodiffuseur public du Canada

22 novembre 2013 – Le projet de loi C-461, né d’une initiative d’un député  a rapidement franchi les diverses étapes à la Chambre des communes et est maintenant sur ​​le point de recevoir l’approbation de la troisième lecture avant qu’il ne passe au Sénat pour devenir loi.

Les médias ne se sont pas suffisamment attardés sur la teneur réelle du projet de loi C-461 (voir les notes de contexte ci-dessous). Par conséquent, les Canadiens ne sont pas pleinement conscients de la manière dont le projet de loi modifiera les lois relatives à  l’accès à l’information et à la protection des renseignements de façon à miner l’intégrité journalistique et la programmation du radiodiffuseur public du Canada, la Société Radio-Canada (SRC).

Nous demandons aux Canadiens de dire à leurs députés et à leurs sénateurs de rejeter cette tentative visant à affaiblir la Société Radio-Canada.

Voici nos préoccupations quant au projet de loi C-461 :

1) C-461 n’est pas nécessaire.
Le projet de loi C-461 présuppose que  l’actuelle Loi sur l’accès à l’information n’est pas claire et que Radio-Canada doit être assujettie à une plus grande reddition de compte.

Or, après plusieurs années de délibérations devant les tribunaux, la Loi sur l’accès à l’information est aujourd’hui très clairement définie et fonctionne de manière efficace.  La Commissaire à l’information du Canada a accordé la note excellente de « A » au diffuseur public pour sa rapidité à fournir des réponses aux demandes d’accès à l’information. En outre, la Loi sur l’accès à l’information actuelle accorde à la SRC le pouvoir d’assurer une protection appropriée aux sources confidentielles de ses journalistes, tout en garantissant son indépendance par rapport au gouvernement et son droit inhérent à la liberté d’expression.

La nouvelle loi exigerait plusieurs cas types et des années devant les tribunaux afin de produire des lignes directrices claires pour sa mise en vigueur. Les aperçus et la clarté tirés des années de délibérations judiciaires concernant la Loi sur l’accès à l’information seraient perdus.

La SRC doit également rendre des comptes aux Canadiens par l’entremise d’un conseil d’administration nommé par le gouvernement, la vérification comptable annuelle du vérificateur général, des rapports fournis au Parlement par la SRC, et des examens de licence du CRTC.

2) C -461 menace l’intégrité journalistique de la Société Radio-Canada.
Des démocraties parlementaires telles que le Royaume-Uni, l’Irlande et l’Australie donnent à leurs radiodiffuseurs publics de solides protections en vertu des lois sur la liberté d’accès à l’information; ils leur permettent d’exclure les documents à caractère journalistique, créatif et liés à la programmation.

Le projet de loi C-461 tel que modifié offre quelque protection aux sources confidentielles des journalistes de la SRC (voir ci-dessous). Cependant, tout ce qui concerne le journalisme, la collecte de nouvelles et les reportages – y compris les cahiers de notes des journalistes, les itinéraires de voyages, les stratégies d’entrevues et les budgets – est touché par les demandes d’accès. La SRC pourrait refuser de divulguer ces renseignements si cela peut porter atteinte à « l’indépendance journalistique, créative et de programmation ». Mais cette expression a un sens étroit et vague – Dans le contexte de Radio-Canada, elle signifie habituellement « indépendance par rapport au gouvernement » et pourrait permettre à des tierces parties, et même les personnes ou organisations faisant l’objet d’enquêtes journalistiques, d’obtenir des renseignements sur ces enquêtes.  L’intégrité journalistique de Radio-Canada et son droit inhérent à la liberté d’expression pourraient être entamés. En outre, l’identité des sources pourrait être établie à partir de ces données.
3) C-461 pourrait nuire à la position de Radio-Canada dans le marché médiatique
C-461 permet également aux concurrents de la Société Radio-Canada de demander des informations sur des questions liées à la gestion des affaires de la SRC, dont la programmation, les effectifs et les budgets, les contrats extérieurs, les déplacements, les stratégies commerciales et autres activités créatives. Une partie de ces renseignements doit être divulguée en vertu de la législation sur l’accès à l’information déjà existante. Les parlementaires doivent évaluer dans quelle la mesure ces informations offrent des avantages uniques aux concurrents sur le marché médiatique. Étant donné qu’aucun autre média n’est soumis à la Loi sur l’accès à l’information, celle-ci pourrait être utilisée pour diminuer la capacité concurrentielle de la Société Radio-Canada – et sa capacité de survie.

4) C-461 ouvre la voie aux demandes de renseignements qui pourraient mettre en péril l’intégrité journalistique de la SRC.
C-461 modifie la Loi sur la protection des renseignements personnels en enlevant à la SRC le droit d’exclure les informations confidentielles recueillies pour des raisons de journalisme et, en contrepartie, prévoit que la divulgation de ces renseignements soit assujettie à un examen de la mesure dans laquelle cela nuit à « l’indépendance » de la SRC.

À titre d’exemple, si la SRC enquêtait sur un membre du crime organisé, cette personne pourrait poursuivre la Société Radio-Canada devant les tribunaux pour forcer la SRC à lui remettre toutes les recherches qu’elle aurait découvertes sur ​elle et ce, même avant qu’un reportage ne soit diffusé. Aucun radiodiffuseur privé ne serait soumis à des dispositions similaires. Cela serait en soi une sérieuse atteinte à la capacité de la Société Radio-Canada de faire du travail journalistique approfondi.

5) C-461 affaiblit la capacité de la Société Radio-Canada à protéger les sources confidentielles des journalistes.
Conscient du fait que d’importantes décisions juridiques ont fortement appuyé le droit des médias de protéger leurs sources confidentielles, le gouvernement a modifié la version originale de C-461 pour permettre à Radio-Canada d’exclure les renseignements qui pourraient révéler l’identité des sources. Cependant, la nouvelle législation ne précise pas qui sera chargé de déterminer si des renseignements constituent une information pouvant révéler des sources. En vertu de la loi actuelle, telle que clarifiée par les tribunaux, personne en dehors de la SRC n’est en mesure d’examiner ces documents. Le projet de loi C-461 modifié n’est pas clair sur ce point et exigera fort probablement plusieurs cas types et des années devant les tribunaux pour produire des lignes directrices claires.

Entretemps, la Commissaire à l’information affirme qu’elle a le droit d’examiner les sources des journalistes. Cela pourrait avoir pour effet d’empêcher les dénonciateurs d’aborder la SRC.  En vertu de la nouvelle loi, les dénonciateurs sauront que s’ils abordent la SRC pour une histoire de corruption gouvernementale, leur identité risque d’être révélée à un tiers, à savoir la commissaire à l’information est son personnel.  Aucun autre média n’est soumis à cette obligation. Ainsi, malgré les assurances de la commissaire qu’elle et son personnel seront en mesure de protéger l’identité des sources, les dénonciateurs seront plus susceptibles d’aller vers d’autres médias plutôt que la SRC. La capacité du radiodiffuseur public à effectuer du journalisme d’enquête pourrait s’en trouver compromise.

Nous soussignés sommes préoccupés par cette menace à la capacité de la SRC d’effectuer son travail. Nous demandons aux Canadiens de communiquer avec leurs députés et leurs sénateurs pour leur demander d’arrêter le projet de loi C-461

Journalistes canadiens pour la liberté d’expression (CJFE)
Arnold Amber, Président

La Guilde canadienne des médias (GCM)
Carmel Smyth, Présidente nationale

Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ)
Brian Myles, Président

Alliance of Canadian Cinema, Television and Radio Artists (ACTRA)
Ferne Downey, Présidente nationale

CWA/SCA Canada
Martin O’Hanlon, Directeur

Friends of Canadian Broadcasting
Ian Morrison, Porte-parole

IRIF, Initiative pour la réforme de l’imputabilité
fédérale
Directeur général

L’Association canadienne des journalistes  (CAJ)
Hugo Rodrigues, Président

Le Comité canadien pour la liberté de la presse mondiale (CCLPM)
Sue Allan, Président

OpenMedia.ca
Steve Anderson, Fondateur et Directeur exécutif

Leadnow.ca
Jamie Biggar, Directeur exécutif

 


Contexte :

Le projet de loi C-461 a été promu par le député Brent Rathgeber du Parti conservateur dans le but d’obliger les ministères fédéraux et sociétés d’État à divulguer le salaire des employés dont le salaire s’élève à 188 000 $ ou plus. Rathgeber a également ajouté des modifications à la Loi sur l’accès à l’information et  à la Loi sur les renseignements personnels qui, selon lui, rendraient la SRC plus imputable.

Au fil des débats à la Chambre de communes, il est devenu clair que le député parrainant le projet de loi et le gouvernement visaient différents objectifs pour la loi.

Le gouvernement, par le biais du ministère de la Justice a modifié le projet de loi C-461 de sorte que le niveau auquel commence la divulgation (salaires de 444 000 $ ou plus) exclut presque tous, sauf des mandarins hautement rémunérés et quelques dirigeants des sociétés d’État. Se sentant trahi, M. Rathgeber a quitté le Parti conservateur estimant que le parti avait éviscéré son projet de loi.

En tant qu’organismes préoccupés par la liberté d’expression,  nous dénonçons vigoureusement la manière dont ce projet de loi exploite la question de la reddition de compte de la SRC – au point d’affaiblir son intégrité journalistique – dans le but d’atteindre ses objectifs.

La Loi sur l’accès à l’information du Canada a besoin d’être modernisée. Mais ce qu’il faut, ce sont des réformes complètes et non quelques rafistolages avec des dispositions visant une seule Société de la Couronne.

La Commissaire à l’information a précisé devant le Comité permanent de l’accès à l’information, de la protection des renseignements personnels et de l’éthique  le 29 mai, qu’il y a des risques potentiels dans l’approche de C-461 :

« … les défis qui touchent l’accès à l’information sont complexes. Ils exigent une intervention réfléchie et complète et non pas une solution « à la pièce ».. Tout en reconnaissant le besoin de modifier la loi, il n’est pas souhaitable qu’elle le soit de façon fragmentaire puisque le régime qui en résulte est décousu et ces modifications érodent le statut de la loi comme loi d’application générale. »

 

Renseignements :

Laura Tribe
Journalistes canadiens pour la liberté d’expression
416-515-9622, poste 232
ltribe@cjfe.org

Jeanne d’Arc Umurungi
Guilde canadienne des médias
416-591-5333, poste 243
jeannedarc@cmg.ca

 

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